Rio + 20 se mérite déjà une note d'échec - Un texte sans ambition pour assurer un consensus
L’Assemblée plénière de l’ONU a adopté hier à Rio le texte de ce qui deviendra sans doute d’ici vendredi la « Déclaration finale » de la conférence, un texte immédiatement qualifié par la plupart de « faible », voire décrit comme un « échec » total, étant donné l’acuité des enjeux.
Il a été adopté à l’unanimité des 193 pays présents à titre de document provisoire. Il sera soumis aux chefs d’État et aux plénipotentiaires qui arrivaient massivement hier dans la capitale brésilienne en prévision du volet « politique » de Rio+20. Au dernier décompte, on prévoyait la présence de 109 chefs d’État et de dizaines de ministres, de 2500 délégués officiels. Quant aux quelque 50 000 environnementalistes, indigènes et altermondialistes, ils se réunissent au parc Flamengo, au centre de Rio, pour ce qu’il est convenu d’appeler le « sommet parallèle » de la société civile.
On y conteste sérieusement le concept d’« économie verte » mis de l’avant par l’ONU, qui jouit de l’appui des multinationales. Ce « capitalisme vert » est jugé incapable d’inverser les tendances d’une économie mondiale axée sur une croissance constante, identifiée comme la cause principale du réchauffement du climat et du déclin de la biodiversité.
Le projet de déclaration, qui fait l’objet de négociations depuis cinq mois, a été mis au point dans la nuit de lundi à hier grâce aux interventions musclées de la direction brésilienne de la conférence. Jusque-là, l’Union européenne estimait le texte disponible « dépourvu d’ambition » et parlait de « régression du multilatéralisme », en plus de le juger incapable de réformer la gouvernance environnementale internationale.
Pour les États-Unis, représentés par leur secrétaire d’État Hillary Clinton, le texte adopté hier est intouchable, au risque de rompre l’accord donné hier en plénière.
C’est ainsi que la proposition du Congo de faire du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) une véritable organisation de l’ONU pour l’environnement — un pendant musclé à l’OMC — a été férocement combattue par les États-Unis. On renforcera quelque peu les pouvoirs de coordination du PNUE.
Au lieu de lancer les négociations sur un traité sur l’exploitation des richesses naturelles des territoires océaniques ayant statut d’eaux internationales, il a tout au plus été convenu d’adopter un processus pour tenter, à compter de 2015, d’accoucher d’« objectifs » consensuels dans ce domaine. Aucun objectif ou échéancier de réduction des subventions aux pétrolières n’a été fixé, au-delà d’un vague souhait de les réduire.
Fortes réactions
Pour Steven Guilbeault, du groupe Équiterre, « les chefs d’État qui commencent à arriver ont un sérieux examen de conscience à faire. Ils vont devoir se demander qu’est-ce qui est le plus important : avoir une entente à tout prix et regarder la planète se dégrader davantage et laisser augmenter l’écart entre pays pauvres et riches ? Ou avoir le courage de dire : on ne signe pas ça ! ». Même si personne n’est arrivé à Rio avec l’idée qu’on y révolutionnerait la gouvernance environnementale, « tous se disaient qu’on devrait avoir au moins une solide déclaration finale sur laquelle on pourrait tabler pour aller plus loin. Mais ce qui est sur la table, c’est une fraction de ce à quoi on s’attendait. Quant au rôle du Canada dans cette négociation, un seul mot le décrit : nous sommes devenus un État voyou ! ».
Patrick Bonin, le porte-parole de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), explique de son côté que le projet de texte entériné hier est plus faible que celui dont tout le monde déplorait la faiblesse samedi.
« Les pays développés, dit-il, continuent de consacrer plus de 750 milliards par an en subventions aux pétrolières et ils osent prétendre ici qu’ils ne sont pas capables de mettre sur la table 30 milliards par année pour aider les pays en développement à commencer à se sortir du trou, à se doter des équipements pour avoir de l’eau potable et un minimum d’assainissement et un minimum d’énergie pour tous. C’est proprement scandaleux, y compris de voir le Canada tenir ce discours. Le Canada, de son côté, n’a même pas encore versé tout l’argent qu’il avait promis à Copenhague ! »
L’Europe déçue
La commissaire européenne au climat, Connie Hedegaard, s’est faite cinglante : « Personne dans la pièce où ce texte a été adopté, a-t-elle écrit sur Twitter, n’était heureux. Il est faible. Ils le savent tous. Décevant. »
« On a fait de notre mieux », a fait valoir Peter Altmeier, ministre allemand de l’Environnement, et « après l’échec de Copenhague [en 2009], c’est un signe encourageant. » « C’était très important d’éviter un échec de cette conférence. » Il a admis néanmoins qu’il n’était « pas satisfait à 100 % ».
Même son de cloche chez les ministres français Nicole Bricq (Écologie) et Pascal Canfin (Développement), qui ont relevé des « avancées » et fait état de « reculs du multilatéralisme qui ont été évités ».
L’Europe « aurait souhaité un texte plus ambitieux », mais « on est allés le plus loin qu’on pouvait dans une négociation avec les rapports de forces qu’il y avait », a noté Mme Bricq.
Pour Antonio Patriota, ministre brésilien des Affaires étrangères, « l’esprit de Rio reste vivant 20 ans après » le Sommet de la Terre de 1992.
Mais la plupart des grandes ONG sont montées au créneau contre ce projet de déclaration.
Pour CARE, une association de lutte contre la pauvreté, les négociations ont « clairement démontré un manque d’ambition de la part des dirigeants mondiaux » face à des défis essentiels. Pour WWF, ce texte constitue « un échec colossal », et « c’est aux leaders mondiaux maintenant de sauver ce processus », faute de quoi « ils auront plongé Rio+20 dans le ridicule ».
Greenpeace a parlé d’« échec épique », estimant qu’il s’agissait du « testament du modèle de développement destructeur du XXe siècle ». Pour Oxfam, « ce sommet pourrait être fini avant d’avoir commencé ».
« Si le texte demeure en l’état actuel, la Conférence sera un échec historique », a commenté le CCFD-Terre solidaire, une association d’aide au développement dans les pays du sud.
***
Avec l’Agence France-Presse
***
Une biodiversité en danger
Selon le dernier bilan de la biodiversité terrestre, divulgué hier à Rio par l’Union internationale pour la conservation de la nature :
sur 63 837 espèces recensées, 19 817 pourraient disparaître dans le prochain siècle ;
41 % des 19 817 espèces en péril sont des amphibiens, 25 % des mammifères, 20 % des plantes, 13 % des oiseaux ;
3947 sont dans une situation critique, 5766 sont en danger et 10 104 sont considérées comme menacées ;
les disparitions sont généralement causées par la destruction des milieux naturels, mais aussi, et de plus en plus, en raison de la concurrence d’espèces envahissantes, souvent aidées par le réchauffement du climat ;
dans certaines régions, 90 % des populations côtières subsistent grâce à la pêche, mais la surpêche a réduit jusqu’à 90 % les stocks de poissons dont elles dépendent.