Le Québec vu à travers le bilan de GEO-5 - Une province moins verte qu’elle le croit


Entité: 
Le Devoir
Date de la référence: 
9 Juin, 2012

Le cinquième bilan quinquennal de la planète, publié cette semaine sous le nom de GEO-5, donne à plusieurs l’impression que le Québec, vert du nord au sud avec ses gazons urbains, ses champs verdoyants et ses forêts, échappe au déclin universel de la biodiversité et des écosystèmes aux prises avec les pollutions, la dévastation et le réchauffement du climat.

Mais le chapitre consacré à l’Amérique du Nord remet quelques pendules à l’heure. Par comparaison avec les politiques proposées par GEO-5 à nos gouvernements, on peut voir que le Québec a encore beaucoup de chemin à faire avant de prétendre qu’il ne participe pas au déclin de la biosphère.

L’Amérique du Nord, indique GEO-5, doit cibler quatre priorités, soit réformer sa gouvernance environnementale, mieux aménager son territoire, mieux gérer ses eaux et son énergie. Et ces priorités doivent contribuer à lutter contre les changements climatiques, le problème central de la planète et de l’Amérique du Nord, le continent le plus boulimique de la planète en matière d’énergie.

Toutefois, constate GEO-5, « les gouvernements fédéraux ne sont plus les leaders de premier plan qui définissent en cette matière le programme politique ». Ottawa et Washington ont cédé le pouvoir d’innover aux provinces et aux États. Ils s’en tiennent à un minimum pour assurer l’harmonisation des politiques et réduire les iniquités environnementales, un jugement douceâtre pour le gouvernement Harper qui sape depuis des années tout effort de contrôle planétaire des émissions de GES et qui finance dix fois plus les énergies « sales » que les énergies vertes. Les deux gouvernements fédéraux misent par ailleurs de plus en plus sur les règles du marché pour obtenir des améliorations, ce qui ne fonctionne pas dans tous les domaines, précise GEO-5.

Des avancées trompeuses

Le Canada et les États-Unis, note GEO-5, tiennent encore pour acquis, culturellement et politiquement, qu’ils bénéficient de ressources inépuisables. Dans le domaine de l’eau, l’abondance relative de la ressource - respectivement 5 % et 6 % des réserves mondiales ! - n’empêche pas des régions entières de se retrouver aux prises avec « des sécheresses et des inondations » dévastatrices, avec d’importants problèmes d’eutrophisation de leurs cours d’eau, avec une fragmentation des rivières par la construction de barrages aux dépens de leur biodiversité, avec des problèmes d’intrusion d’eaux salines là où les nappes souterraines ont été trop sollicitées, avec la « contamination des eaux souterraines, causée par la fracturation hydraulique pour extraire les gaz de schiste », avec d’importants problèmes de pollution diffuse et d’érosion des sols en milieux agricoles, avec le lessivage des toxiques des milieux urbains, qui aboutissent généralement aux cours d’eau.

L’Amérique du Nord a beaucoup innové au début du xxe siècle, note GEO-5, avec des traités sur la gestion transfrontalière des eaux limitrophes. Elle a laissé une marque indélébile en créant les parcs nationaux. Et elle a mis au point les premiers instruments de marché pour renforcer les politiques environnementales, notamment les consignes. Le Québec, note le rapport, a été la première juridiction nord-américaine à adopter une taxe carbone sur l’essence, mais trop faible pour avoir un effet sur son marché. Elle a été vite dépassée par la taxe carbone de la Colombie- Britannique.

Les États-Unis, note le rapport, ont remporté un important succès avec la mise en place en 1995 d’un plafond et d’un marché de crédits pour leurs émissions acides. Mais, insiste GEO-5, les deux gouvernements fédéraux n’osent pas appliquer la même logique à leurs émissions de gaz à effet de serre. Même le plafond d’émissions mis en place par l’Alberta donne une illusion de contrôle : basé sur l’intensité des émissions par unité de production, il permet en définitive d’augmenter les émissions totales, car les producteurs peuvent produire autant qu’ils le veulent du moment qu’ils respectent ces normes, élastiques à souhait.

GEO-5 insiste sur le fait qu’une gouvernance environnementale solide repose sur un système rigoureux d’évaluation des impacts environnementaux des grands projets. Les auteurs ne connaissaient certainement pas, au moment d’écrire ce bilan, le contenu du projet de loi C-38 qui met la hache dans les règles d’évaluation et freine la participation du public au niveau fédéral. Selon GEO-5, un système d’évaluation rigoureux accorde une attention fondamentale à la justification des projets. Et il doit aussi les comparer avec d’autres solutions, ce que Québec évite et qu’Ottawa veut éviter désormais avec C-38.

D’autre part, ajoute le rapport, les gouvernements devraient « adopter plus souvent une approche réglementaire plutôt que de recourir aux seules forces du marché » et aux privatisations. Il cite en exemple la Loi sur l’eau, adoptée par Québec en 2009, qui fait de la ressource hydrique un bien collectif.

Des retards criants

Si l’intervention réglementaire doit être la règle quand les problèmes sont graves, selon GEO-5, l’absence au Québec de règlements en matière de protection des rives et des milieux humides, de contrôle de la pollution diffuse et de restauration des écosystèmes aquatiques par les grands utilisateurs (prises d’eaux industrielles, barrages hydroélectriques, etc.) permet de mesurer notre retard dans plusieurs domaines.

Par ailleurs, le rapport insiste beaucoup sur la politique de développement anarchique des territoires en Amérique du Nord.

Ce développement, précise-t-il, se caractérise par la fragmentation des forêts, des systèmes aquatiques et lacustres. L’exploitation des ressources d’un même territoire est généralement confiée à des autorités différentes, mal coordonnées, dont la taille coïncide rarement avec le territoire réel. Ainsi, plusieurs municipalités et MRC vont se retrouver dans un même bassin versant avec des règles de protection différentes ou couvrir deux bassins versants.

La gestion du territoire et de l’eau devrait, selon les propositions de GEO-5, obéir à une logique « intégrée ». Vus sous cet angle, l’absence de pouvoir des organismes de bassin versant au Québec (OBV) et le fait que la future Loi sur l’aménagement et l’urbanisme n’exige pas d’intégrer les plans directeurs de l’eau aux schémas d’aménagement des MRC, avec les enjeux forestiers et agricoles, risquent de confiner le Québec en queue de peloton pour longtemps. Pour le plus grand profit des développeurs.

Ailleurs, y compris en Ontario et aux États-Unis, note GEO-5, on fait appel aux subventions et aux mécanismes de marché - avec des plafonds et des échanges de crédits - pour enrayer la dévastation des milieux humides, la pollution diffuse et les bonnes pratiques agricoles et la pollution en général. Par exemple, aux États-Unis, on accorde des subventions aux cultivateurs qui convertissent leurs champs en forêts ou qui restaurent sur leurs terres les milieux humides ou les prairies naturelles. Plusieurs États limitent leurs subventions aux seuls agriculteurs qui respectent les normes de protection des rives, qui équipent leurs fossés de trappes à sédiments et qui adoptent des pratiques de labour moins génératrices d’érosion.

En comparaison, les bandes riveraines se limitent ici à trois mètres et Québec n’impose nulle part l’installation de trappes à sédiments. Et nous sommes encore plus loin de ce que propose en exemple GEO-5, soit de définir la quantité maximale d’engrais, de pesticides et de sédiments que les cours d’eau peuvent recevoir afin de déterminer le quota qui s’appliquera dans chaque région, la quantité permise étant mise aux enchères. En comparaison, la Financière agricole, qui distribue les fonds de l’État, ne tient même pas compte de la conformité aux normes de protection riveraines, pourtant en vigueur depuis près de 30 ans.

En matière d’énergie, c’est l’Ontario, avec ses lois et politiques qui garantissent des prix à long terme aux producteurs d’énergie verte, qui est citée comme la référence au Canada. Pas le Québec, dont les barrages et l’importante production hydroélectrique ne sont pas cités dans les « énergies vertes » dont GEO-5 recommande l’adoption, soit principalement l’éolien et le photovoltaïque. Le rapport indique d’ailleurs qu’il serait impératif pour les gouvernements d’adopter dans des cas semblables à celui du Québec une politique dite de « planification intégrée des ressources » (PIR). Hydro-Québec a combattu avec succès cette logique, qui avait été inscrite dans la loi créant la Régie de l’énergie, de sorte qu’elle n’est pas obligée d’accorder la priorité aux énergies vertes, ce qui fait visiblement l’affaire du puissant lobby des « castors bétonneurs », omniprésents dans les grandes firmes d’ingénierie…

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