Environnement au Québec : un discours vert décroché de la réalité


Entité: 
Le Devoir
Date de la référence: 
12 Mai, 2012

Alors qu’au niveau fédéral on s’attaque aux garde-fous environnementaux patiemment rodés depuis 30 ans, au Québec la gestion environnementale ne serait pas en meilleure position parce qu’un inquiétant statu quo, voire des reculs, se dissimulerait sous un discours vert plutôt trompeur.

C’est ce qui ressort d’une série d’entrevues réalisées auprès d’acteurs et d’observateurs de l’activité environnementale, à l’exception des milieux patronaux et industriels qui voient de véritables progrès dans les politiques environnementales du gouvernement Charest depuis son accession au pouvoir au printemps 2003.

Le bilan fait de ces politiques la semaine dernière par Jean Cinq-Mars, le commissaire au développement durable du Québec, va dans ce sens. Il précise que les objectifs de la stratégie gouvernementale élaborée en vertu de la Loi sur le développement durable (LDD) demeurent trop vagues, que les ministères ne la traduisent pas en objectifs et en échéanciers précis et vérifiables. Dans le domaine des changements climatiques, précise le commissaire, on s’est fixé un objectif ambitieux, soit de réduire nos émissions de GES de 20 % pour 2020, mais on rate celui de Kyoto. Et, ajoute ce rapport impitoyable, on ne sait pas si le 1,5 milliard accordé à ce plan ou les 2,7 milliards prévus pour la phase 2012-2020 produiront des résultats, dans quelle mesure, et si le bilan du Québec dépend davantage de la conjoncture économique que de son plan de lutte contre les changements climatiques.

Harvey Mead, l’ancien commissaire au développement durable, explique en entrevue que la cause profonde de cette stagnation réside dans la décision de confier l’application de la LDD au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP). « La LDD, explique Harvey Mead, est une des trois lois dont l’application englobe la totalité des institutions de l’État. Elle serait appliquée avec plus d’autorité si elle relevait du ministère du Conseil exécutif, le ministère du premier ministre, plutôt que d’un des plus petits et des moins dotés des ministères de l’appareil gouvernemental ».

Des progrès véritables

Pour Hélène Lauzon, la présidente du Centre patronal de l’environnement (CPEQ), l’actuel gouvernement « a modernisé dans son mandat plusieurs normes et règlements et fait adopter de nouvelles lois qui ont amélioré la gestion des matières résiduelles, de l’eau, de l’air et des sols contaminés ». « Mais je suis d’accord avec le commissaire Cinq-Mars, ajoute-t-elle : il faut maintenant faire progresser l’imputabilité et la reddition des comptes en matière de changements climatiques et de développement durable. »

Mme Lauzon insiste sur le fait que Québec a déjà plafonné par règlement les émissions industrielles de GES et créé un système d’échange de crédits d’émission. Il a mis à jour le règlement sur l’assainissement de l’air, qui n’avait pas été modifié depuis 30 ans. Il a adopté une loi qui fait de l’eau une richesse collective, assortie d’un système de redevances. Il s’apprête à adopter une loi l’autorisant à exiger des compensations pour la destruction des milieux humides. Il a élargi la responsabilité financière à de nouveaux générateurs de déchets. L’industrie assume désormais 100 % de la facture de la collecte sélective, sans oublier les nouvelles amendes imposées aux producteurs, conclut-elle.

Bilan moins rose

Jean-François Girard, président du Centre québécois du droit de l’environnement, rappelle que plusieurs juges ont reproché au MDDEP dans leurs verdicts son manque de détermination à protéger l’environnement pour plutôt « accompagner » les entreprises, même fautives. Québec, ajoute-t-il, a réduit radicalement son aide financière aux groupes environnementaux. Et il interprète désormais la loi censée protéger en priorité l’environnement comme devant protéger d’abord les demandeurs d’autorisation. De plus, au lieu de protéger par une nouvelle loi les milieux humides du Québec, il s’apprête à légaliser un système de compensations financières qui va autoriser de nouvelles pertes de notre patrimoine biologique.

« Au Québec, comme au Canada, on recule malgré les apparences, affirme le porte-parole du CQDE. On a l’impression que les gouvernements sont en train de créer une nouvelle culture qui ramène l’environnement en bas de la liste des priorités. Ce backlash semble amorcer une tendance dangereuse, à moins que ce ne soit le dernier soubresaut avant qu’on passe enfin à un autre paradigme que le développement à tout prix. »

Selon Christian Simard, de Nature Québec, la stagnation, voire les reculs des politiques environnementales québécoises sont bien réels, et sont le résultat d’une sorte de « schizophrénie entre le discours vert du gouvernement et la réalité sur le terrain ».

Toute la gestion environnementale du Plan Nord, dit-il, repose sur une directive administrative, qui serait tout aussi attaquable devant les tribunaux que l’a été celle récemment abolie par la Cour supérieure à propos des compensations environnementales.

Le Plan Nord est présenté comme le « chantier d’une génération, dit-il, soit tout le contraire du développement durable qui exige un développement parcimonieux plutôt qu’en accéléré si on veut aussi satisfaire les besoins des générations futures ».

Le Plan Nord, ajoute Christian Simard, a été « enrobé de mots incroyables, mais il s’annonce très faible sur le plan de la conservation », ce qui explique que les groupes environnementaux ont refusé de le signer avec les autres « partenaires » au moment de son annonce.

Un exemple parmi d’autres, dit-il. Des évaluations récentes indiquent que les émissions de GES des nouvelles grandes exploitations minières vont hausser radicalement nos émissions de gaz à effet de serre. Mais Québec refuse de mesurer le phénomène. Au contraire, il offre de payer la facture de 30 millions qui permettra à Gaz Métropolitain de planifier l’extension de son réseau jusqu’à Sept-Îles pour desservir de nouveaux grands émetteurs.

En agriculture, où tout est censé être vert, ajoute l’écologiste, « rien n’est réglé malgré les prétentions de Québec : pas de politiques, pas de suivi du rapport Pronovost, pas de politique de protection des bandes riveraines à la hauteur des problèmes, pas d’inclusion du respect de la norme minimale de trois mètres dans la politique d’écoconditionnalité ».

Côté gestion du Saint-Laurent et de ses effluents, Québec a abandonné tout plan de dépollution conjoint des grandes entreprises riveraines avec Ottawa, ajoute Christian Simard.

Québec prétend aussi atteindre les objectifs de protection de la biodiversité établis à Nagoya l’an dernier, mais c’est pour l’ensemble du Québec et grâce à de nouvelles aires protégées dans le Nord. Par contre, dit-il, Québec n’a aucun plan, ni objectif pour améliorer cette biodiversité là où elle est le plus menacée, soit dans le sud de la province.

« Comment prendre au sérieux un gouvernement qui dit ne plus croire à la filière nucléaire et qui s’apprête à reconstruire sans audience publique la centrale de Gentilly-2 ! Finalement, il y a un mot pour traduire ce qui se passe vraiment en environnement : incohérence ! Incohérence entre le discours, les moyens et la gestion environnementale réelle. »

« Pensez seulement aux gaz de schiste… », conclut-il avec un brin de cynisme.

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