GES : Harper ratera sa cible de 2020


Entité: 
Le Devoir
Date de la référence: 
9 Mai, 2012

Le Canada a réalisé non seulement un dixième de ses obligations à l’endroit du protocole de Kyoto, mais il est en voie de rater son deuxième engagement, contracté à Copenhague, car il va vraisemblablement dépasser en 2020 de 7 % le niveau de ses émissions de 2005. Le gouvernement Harper pourrait donc se retrouver avec un écart de 24 % par rapport à son objectif, qui visait plutôt à réduire ses émissions de 17 % par rapport à 2005.

Ce constat impitoyable quant à la performance environnementale du gouvernement Harper apparaît dans le dernier rapport du commissaire fédéral à l’environnement, Scott Vaughan, publié hier à Ottawa. Ce dernier dresse un bilan tout aussi peu flatteur de la gestion par Ottawa des 22 000 sites contaminés qu’abritent les terres fédérales au pays.

Selon Scott Vaughan, 7400 sites de l’inventaire fédéral sont considérés comme « clos », ce qui ne veut pas dire, précise le rapport, qu’ils ont été assainis. Depuis 2005, le fédéral a dépensé 1,5 milliard pour évaluer ou décontaminer 10 600 sites, dont 650 à priorité d’intervention élevée ou moyenne. Mais il reste 857 sites à priorité élevée pour lesquels le fédéral n’a pas encore terminé l’évaluation environnementale.

De plus, selon le commissaire, il n’existe aucune évaluation de coûts pour 11 800 sites, soit 81 % de ceux dits « actifs » parce qu’ils présentent encore des dangers d’écoulement. Le commissaire Vaughan n’entrevoit pas la fin de ce défi car, écrit-il, le gouvernement a concentré l’essentiel de ses fonds sur quatre sites, dont deux contaminés par l’exploitation d’uranium à Port Hope, en Ontario.

Au Québec, le rapport dénombre 2300 sites, dont 160 « à priorité élevée », parmi lesquels 11 sont situés dans la région de Montréal.

« Bien que le gouvernement fédéral ait commencé à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), affirme le commissaire, les réductions [planifiées] ne suffisent pas actuellement pour que la cible de 2020 puisse être atteinte ».

Pour ramener ses émissions à -17 % par rapport à 2005, il faudrait, précise le commissaire, que le Canada soustraie 178 millions de tonnes (Mt) additionnelles aux 785 Mt prévues au rythme actuel de croissance. Même s’il y arrive et ramène ses émissions à 607 Mt de GES par année, cela correspondra à une augmentation des émissions canadiennes de 3 % par rapport à l’année de référence internationale, soit 1990. En comparaison, l’Europe est en train d’atteindre une réduction de 20 % pour 2020 par rapport au niveau de 1990.

Si le Canada rate son objectif 2020, il en sera à son deuxième échec dans le dossier des changements climatiques. En effet, note le commissaire Vaughan, même les maigres objectifs des conservateurs pour la période de réduction du protocole de Kyoto n’ont pas été atteints. Le gouvernement Harper planifiait, en effet, en 2007 des réductions de 282 Mt pour la période 2008-2012. Son plan pour l’année 2011 avait ramené cet objectif à un maigre 27 Mt pour les cinq années. Dans les faits, Ottawa n’aura réduit les émissions du Canada que de 6 Mt dans en 2008 et 2009.

Pourtant, précise le commissaire, « Bien que le gouvernement du Canada ait annoncé qu’il se retirera du protocole de Kyoto, la Loi de mise en oeuvre du protocole de Kyoto demeure en vigueur en tant que loi adoptée par le Parlement ». C’est en se basant sur le fait que cette loi oblige toujours le gouvernement fédéral à atteindre les objectifs du protocole que Me Daniel Turp demande à la Cour fédérale d’annuler la décision, prise en décembre dernier, de retirer le Canada du protocole.

Le commissaire Vaughan suggère d’ailleurs au gouvernement Harper de « s’inspirer de l’approche américaine sur le climat » d’autant plus qu’il a décidé d’adopter le même objectif et le même échéancier de réduction d’ici 2020.

Contrairement au Canada dont on ne connaît pas encore les cibles sectorielles de réduction, les États-Unis utilisent déjà le Clear Air Act (CAA) pour imposer des réductions par voie réglementaire.

Le commissaire note aussi que le gouvernement craignait de devoir dépenser 14 milliards en achats de crédits d’émissions pour compenser son incapacité à atteindre les objectifs de réduction du protocole de Kyoto. Mais, ajoute le commissaire Vaughan, « je m’attendais donc à ce que le gouvernement ait évalué le coût pour l’économie canadienne de son approche réglementaire pour atteindre sa nouvelle cible de réduction de 17 % » pour 2020.

Or, « jusqu’à présent, il ne l’a pas fait », ajoute Scott Vaughan, qui démontre qu’ailleurs dans le monde, une politique de réduction se limite généralement à une facture de 1 à 2 % pour les entreprises, ce qui est moins coûteux que d’acheter des crédits et que cela rend les entreprises plus performantes et plus compétitives.

Un « bilan désastreux »

Pour la critique libérale en environnement, Kirsty Duncan, a qualifié le bilan conservateur en environnement, et tout particulièrement dans le dossier du climat, de « désastreux », sans parler du fait que sa gestion erratique des sites contaminés est en partie causée par la faiblesse de l’évaluation environnementale de ces dossiers.

« Que ce soit par son attaque contre le protocole de Kyoto, dit-elle, son échec à respecter ses propres cibles en matière de réduction de GES ou dans l’absence d’un plan défini avec des objectifs mesurables pour décontaminer les sites fédéraux, ce gouvernement nous fait honte sur la scène internationale par son manque de leadership en environnement en plus de mettre la santé et la sécurité des Canadiens en péril. »

Mais pour le ministre fédéral de l’Environnement, Peter Kent, le gouvernement poursuit toujours une politique destinée à « assurer un environnement propre, sécuritaire et durable » à tous « tout en créant des emplois et en favorisant la croissance économique ». Il affirme avoir accueilli « favorablement » les commentaires du commissaire dont il interprète à son avantage son absence de commentaire sur le retrait du Canada du protocole de Kyoto : « Nous comprenons que le commissaire a tenu compte de ce fait puisque le rapport ne renferme aucune recommandation à son sujet. » Le ministre n’a émis aucun commentaire sur la possibilité qu’au rythme actuel des réformes réglementaire que son gouvernement pourrait rater jusqu’à sa nouvelle cible de 2020.

Selon Megan Leslie, du NPD, « Stephen Harper ne comprend simplement pas ce que ça prend pour construire une économie viable adaptée au xxie siècle. » Pour sa collègue Anne Minh-Thu Quach, « La même semaine où les conservateurs tentent d’affaiblir nos mécanismes d’évaluation environnementale en imposant un projet omnibus sur le budget du Parlement, ce rapport leur rappelle le besoin urgent de maintenir ces règles pour protéger la santé des Canadiens. »

Du côté du Bloc québécois, la porte-parole, la députée d’Ahuntsic, Maria Mourani, voit dans la faiblesse des politiques sur le climat des conservateurs un effet de leur « négationnisme » et de leur opposition à la science, qui expliquerait leur « laxisme » dans des domaines moins complexes que les changements climatiques, comme la pollution qui s’écoule des sites contaminés. Elle en donne comme exemple la contamination de la nappe souterraine de Shannon, près de Québec, qui a été contaminée au trichloréthylène (TCE), un produit utilisé par les militaires de la base de Val Cartier. Les citoyens de l’endroit en sont encore à se battre pour obtenir Justice dans ce dossier.

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