Limiter l'accaparement des terres agricoles


Entité: 
Le Monde
Date de la référence: 
27 Avril, 2012

C'est une carte du monde, d'apparence anodine, mais qui jette une lumière crue sur l'un des phénomènes les plus spectaculaires de la mondialisation : la course à la terre.

Ce document, la Matrice des transactions foncières (Land Matrix), consultable depuis vendredi 27 avril sur Internet, donne l'état des lieux des acquisitions et locations de terres agricoles par des acteurs étrangers, publics ou privés, soucieux de subvenir aux besoins alimentaires de la population de leur propre pays. Ce travail a été réalisé, à partir de données rassemblées pour la première fois, par un groupe de chercheurs appartenant, entre autres, au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et à l'université de Berne.

Ce qu'il montre confirme les soupçons des détracteurs de la "course à la terre", qui voient dans cette évolution récente un accaparement, à l'échelle mondiale, des terres arables au profit des pays les plus riches.

Dans la majorité des cas, ces transactions - qui concernent 1,7 % de la surface agricole dans le monde, essentiellement en Afrique et en Asie du Sud-Est - visent à assurer la sécurité alimentaire du pays de l'investisseur. Les populations concernées dans le pays d'accueil n'ont généralement pas été consultées. La moitié des projets concernent des terres déjà utilisées par les agriculteurs locaux. Quant aux retombées sur l'emploi, elles semblent limitées.

En 2010, la Banque mondiale avait déjà tiré le signal d'alarme : faute d'une gouvernance foncière adéquate, avait-elle averti, ces transactions, de plus en plus nombreuses avec la hausse des prix agricoles, risquaient de se faire aux dépens des petits agriculteurs. Or c'est sur ceux-là qu'il faut s'appuyer pour faire décoller l'agriculture des pays les plus pauvres.

Où est donc la stratégie "gagnant-gagnant" mise en avant par les investisseurs ? Elle est, en réalité, compromise par les visées spéculatives d'une partie de ceux-ci, par la faiblesse des droits fonciers locaux, mais aussi par l'incapacité des pays cibles à imposer un cadre susceptible de permettre à ces investissements colossaux de profiter à leurs populations.

Tout le monde est d'accord : les agricultures du Sud ont un besoin énorme en capitaux. Mais le recul massif de l'aide publique ces dernières décennies a laissé la voie libre à ces entreprises étrangères, dont certaines réalisent de vrais investissements agricoles quand d'autres se livrent au simple accaparement des terres.

C'est pour cela qu'une gouvernance mondiale de ces transactions s'impose. Le 11 mai, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, qui dépend des Nations unies, doit justement adopter des "directives volontaires sur la gouvernance responsable des régimes fonciers, dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale". Cet ensemble de mesures peut constituer un outil précieux pour encadrer achats et locations de terres. Mais il faut, pour cela, que les Etats concernés se les approprient - et les appliquent.

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