Sommet des Peuples : une proposition alternative à Rio + 20


Entité: 
Sommet des Peuples
Date de la référence: 
25 Avril, 2012

Ce texte a initialement été publié en portugais sur l’IHU, et il a été traduit par Jean-Luc Pelletier, traducteur bénévole pour rinoceros.
« Nous sommes absolument convaincus que l’économie verte proposée par les Nations Unies et par les transnationales qui dominent le débat conduira le monde à la catastrophe » affirme la directrice de la Fase, membre du comité de facilitation de la société civile pour Rio + 20.
En juin prochain, dans la ville de Rio de Janeiro, sera le siège de Rio + 20, la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable. Parallèlement à l’événement, le Sommet des peuples est en cours d’organisation, porteur d’une proposition alternative et bourré d’activités, dans [ le parc dit ] « Aterro do Flamengo » à Rio de Janeiro. « Le Sommet des peuples sera un lieu d’expérimentation et de présentation concrète des pratiques que nous souhaitons voir dans le monde » affirme Fatima Mello, membre du comité de facilitation de la société civile pour Rio + 20. Elle a accordé à I. H. U. On-line, par téléphone, l’interview qui suit dans laquelle elle donne plus de détails sur l’organisation de cet événement et sur la relation avec la conférence officielle dont le thème dominant est la question de l’économie verte. Au sujet de ce concept, Fatima précise « si nous regardons le document appelé ” brouillon zéro ” de l’ONU, la partie sur l’économie verte repose sur la croyance que le monde sera sauvé par les nouvelles technologies, que la technologie sauvera le monde. C’est un mensonge. Les nouvelles technologies peuvent accroître les inégalités dans le monde quand elles sont mises en œuvre, comme c’est le cas actuellement, pour servir les intérêts des grands groupes. C’est notre première critique, frontale, par rapport aux propositions dominantes concernant l’économie verte ».
Fatima Mello est membre de la FASE – Solidarité et Éducation. Elle faite partie de la Coordination Générale du Réseau Brésilien pour l’Intégration des Peuples – Rebrip. Elle a facilité l’organisation des cinq premières éditions (2001 – 2005) du Forum Social Mondial et est membre du comité de facilitation de la société civile pour Rio + 20. Elle est diplômée d’histoire de la PUC de Rio ( ndtr Université Pontificale Catholique) dont elle a reçu également le titre de maître de conférence en Relations internationales.
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IHU On-line – Pourquoi les organisations de protection de l’environnement, les réseaux sociaux, les groupes indigènes et paysans, les mouvements sociaux de femmes, jeunes et noirs, ont-ils choisi d’investir l’Aterro do Flamengo pendant Rio + 20 ?
Fatima Mello – Au moins pour trois raisons. La première est une raison symbolique héritée de l’histoire que nous avons avec le Forum Global réalisé pendant Rio 92 dans le parc. Là-bas, à cette époque, au début de ce cycle de mouvements globaux contre le néolibéralisme, nous avions construit une plate-forme de lutte. Il y avait 45 stands sur les thèmes les plus divers, depuis la lutte contre la dette extérieure et contre le libre commerce, jusqu’aux luttes concernant la biodiversité, la coopération internationale et les femmes. Dès lors, il est très symbolique de réoccuper ce même lieu 20 ans après, en essayant de reconstruire une plate-forme pour un nouveau cycle de nouvelles convergences du mouvement global que nous souhaitons inaugurer à Rio + 20.
La deuxième raison est que nous voulons convoquer la société à débattre au sujet de ce que nous estimons que devrait être le programme de Rio + 20. Pour nous, le « Riocentro » où se tiendra la conférence officielle est un lieu complètement isolé de la dynamique de la ville et de la société alors que l’« Aterro do Flamengo » situé au centre de la ville est un espace démocratique, populaire, où les gens de tous les quartiers de la ville peuvent venir. C’est un espace ouvert, accessible sans problème d’accréditation comme ce sera le cas dans l’espace officiel. Nous voulons y organiser un programme de débats avec la société, pour qu’elle puisse dialoguer avec nous au sujet des injustices environnementales et sociales qui mènent le monde à la catastrophe.
La troisième raison découle du fait que nous pensons que la plus forte pression que nous pouvons et voulons exercer sur la conférence officielle, doit venir de la société, depuis l’extérieur, afin que celle-ci prenne des engagements fermes en rapport avec la plus grande crise du capitalisme depuis 1929, et comportant de réelles solutions pour la vaincre. Nous allons exercer cette pression depuis l’ « aterro » et nous assurer de disposer de canaux de communication efficaces avec le « Riocentro ». Nous aurons la télévision du Sommet des Peuples qui transmettra nos demandes et nos appréciations à l’intérieur du « Riocentro » et, en retour, apportera les nouvelles du « Riocentro » au Sommet. Un système de communication nous maintiendra liés à la conférence officielle, mais de façon autonome et en faisant passer la pression venant des rues.
IHU On-line – Comment sera organisé le Sommet des Peuples sur place ?
Fatima Mello – Au sein de ce que nous appelons les activités autogérées, il y aura un programme comportant des débats, des séances plénières, des ateliers, qui convergeront vers des temps de synthèse des propositions. Dans les assemblées de mobilisation ou dans les assemblées des peuples en lutte, nous accueillerons les débats qui auront lieu lors des diverses activités autogérées et nous mettrons en place des plates-formes, des alliances, des propositions concrètes qui, selon nous, sont les solutions dont le monde a besoin pour échapper au désastre. Par ailleurs, il existera aussi ce que nous nommons le « Territoire du futur ». Le Sommet des Peuples sera un lieu d’expérimentation et de présentation concrète des pratiques que nous souhaitons voir se diffuser dans le monde. L’approvisionnement alimentaire des 10 000 campeurs du Sommet des Peuples sera assuré par des productions familiales et paysannes. Il y aura un lieu d’accès libre aux médias numériques et un lieu d’échanges rendus possibles grâce à l’économie solidaire. On produira de l’énergie propre. Les ordures seront entièrement traitées grâce au mouvement des récupérateurs d’ordures. De cette façon, nous voulons valoriser les expériences et les pratiques réalisées par l’agro-écologie, les populations traditionnelles et par les populations urbaines qui sont à la recherche de revenus alternatifs grâce à des usages anti- hégémoniques et non corporatifs. Nous allons nous efforcer de mettre en pratique un autre modèle.
IHU On-line – Comment coordonner un campement de 10 000 personnes ?
Fatima Mello – Il y aura plusieurs campements. Celui de Via Campesina qui a sa propre logique d’organisation et une longue expérience dans ce domaine. Les campements indigènes qui ont aussi leur propre dynamique. Le campement de la jeunesse doté d’une logique particulière et aussi les campements des « quilombolas » ( ndtr : communautés de descendants d’esclaves fugitifs). Nous nous attachons actuellement à comment mettre en place l’infrastructure nécessaire, en accord avec les principes d’organisation de chacun des mouvements présents dans le campement. Cependant, en plus de ces derniers, d’autres grandes composantes de la société civile participeront et vont trouver dans la ville d’autres formes d’hébergement. Il est évident que l’infrastructure est un énorme défi. Nous savons que la logique d’entreprise domine la ville et qu’elle la prépare en vue des grands événements que seront la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques. Hôtels et fournisseurs, tout coûte une fortune dans cette ville. C’est pourquoi nous nous opposons à la logique d’entreprise corporatiste qui règne dans la ville de Rio de Janeiro. L’organisation du Sommet est déjà un exercice de mise en pratique d’une contre hégémonie.
IHU On-Line – Qu’est-ce qui, au sein du programme alternatif à la conférence officielle, sera débattu au Sommet des peuples ?
Fatima Mello – Le programme officiel est centré sur les débats autour de l’économie verte. Et nous sommes absolument convaincus que l’économie verte proposée par les Nations Unies et par les multinationales qui dominent le débat conduira le monde à la catastrophe. Si nous regardons le document appelé ” brouillon zéro ” de l’ONU, la partie sur l’économie verte repose sur la croyance que le monde sera sauvé par les nouvelles technologies, que la technologie sauvera le monde C’est un mensonge. Les nouvelles technologies peuvent accroître les inégalités dans le monde quand elles sont mises en œuvre, comme c’est le cas actuellement, pour servir les intérêts des grands groupes. C’est notre première critique, frontale, par rapport aux propositions dominantes concernant l’économie verte.
La seconde : ce concept de « vert » et les propositions qui en découlent parient sur la financiarisation de la nature pour trouver une nouvelle source de financement pour la transition vers la dénommée économie verte. Dès lors, l’intention est de donner un prix à l’air en créant un marché du carbone ; de donner un prix à la biodiversité ; de privatiser les biens communs tels que l’eau, la terre ; et de cette façon financer ce qu’ils nomment la transition. Nous pensons qu’il faut aller dans la direction inverse, qu’il faut justement reconstruire la notion de biens communs, au lieu de tout livrer au système financier. Nous devons réhabiliter le concept de biens communs. La finance est en train de s’approprier non seulement la nature mais aussi la politique.
Autre chose : l’économie verte proposée par l’ONU attribue au marché le rôle d’acteur de la transition. Or le monde est dans la situation où il se trouve justement à cause de cette théorie. Ce concept d’économie verte conserve en l’état le modèle des flux d’investissements et de commerce, de circulation globale des marchandises et de capital, qui a conduit le monde dans la situation de crise où nous nous trouvons.Le modèle de production, distribution et consommation doit être radicalement changé pour rapprocher la production de la consommation, en « dé-mondialisant » et relocalisant la production, en combattant les inégalités d’accès à la consommation. La question des inégalités est au coeur du problème et de la solution. L’ONU ne parle que de combattre la pauvreté et ne parle pas de combattre la richesse. Ce dont nous allons débattre au sein du Sommet des peuples est le thème de la justice environnementale, car il existe une énorme inégalité au niveau des impacts environnementaux de ce modèle de développement. Ceux qui en souffrent le plus sont les populations exclues, les noirs, les pauvres. Et, au-delà de cet impact différencié, il existe aussi beaucoup d’inégalités pour accéder à la consommation des ressources naturelles.
Le modèle agricole et de production alimentaire agroécologique refroidit la planète, comme d’ailleurs beaucoup d’autres solutions qui viennent des populations traditionnelles, telles que les pratiques d’agro foresterie ou d’autres encore qui ne sont pas hégémoniques. Nous ne sommes pas hégémoniques dans la société mais nos solutions ont besoin que nos acteurs le soient. L’agroécologie a besoin d’une réforme agraire, du paysannat, elle a besoin que la petite production soit valorisée. Dès lors le sujet est politique. La confrontation au sujet du modèle doit se situer au niveau politique.
IHU On-Line – De quelle façon de l’esprit du mouvement des indignés, d’Occupons Wall Street, sera-t-il présent lors de la rencontre et comment se positionne-t-il par rapport aux débats qui devront constituer l’ordre du jour du Rio + 20 ?
Fatima Mello – Nous élaborons le processus de préparation en se rapprochant des indignés, des mouvements pour la démocratisation d’Afrique du Nord et essayons de bâtir un dialogue avec les autres façons qu’ont les mouvements sociaux d’organiser des itinéraires de lutte, depuis les dernières décennies. Nous considérons que le Sommet des Peuples est une occasion stratégique pour élaborer des convergences entre les diverses formes de lutte et d’organisation qui voient le jour partout dans le monde.
IHU On-Line – Quelles sont les principales requêtes reçues par le comité de facilitation de la société civile pour le Rio + 20 ?
Fatima Mello – Nous avons reçu beaucoup de demandes pour organiser des activités au Sommet des Peuples, des activités ayant des convergences entre elles. Beaucoup de personnes veulent présenter leur expérience, contribuer au débat et avoir du temps pour dialoguer avec des porteurs d’expériences dans le même domaine. Et c’est cela que nous essayerons de faciliter, pour que ce ne soit pas une foire aux expériences mais un réel moment de rencontre, d’élaboration de synthèse de propositions et de campagnes. Le Sommet des Peuples est une étape sur le cheminement des luttes qui doit, après celui-ci, se prolonger en un agenda de luttes, de mobilisations, de campagnes et en une nouvelle plate-forme.
IHU On-Line – Au-delà du débat sur l’économie verte, quelles sont les principales controverses autour de Rio + 20 ?
Fatima Mello – Une autre question très préoccupante de l’agenda officiel est le débat autour de l’architecture institutionnelle. Le monde vit une crise, le capitalisme est en crise et les institutions qui régulent le système international sont également en crise profonde. Ce sont des institutions créées après la seconde guerre mondiale, qui démontrent qu’elles n’ont plus la moindre capacité à œuvrer au sein de la nouvelles corrélation de forces présente dans le système international, avec les nouvelles questions, le nouvel agenda et les nouveaux acteurs qui émergent. Rio + 20 devrait être l’occasion de créer un nouvel appareil institutionnel en phase avec le courant de contestation et la transition en cours dans le système international. Cependant, ce qui apparaît du programme officiel au sujet de l’architecture institutionnelle est un débat très insuffisant et erroné. Il s’agit de la création d’un conseil du développement durable qui n’aura pas les moyens de promouvoir les changements nécessaires et ne remettra pas en question l’existence d’institutions en faillite et obsolètes telles que le FMI, la Banque mondiale, l’OMC Au contraire. La tendance des résolutions à Rio + 20, dans le domaine de l’architecture institutionnelle, est au renforcement du schéma actuel.

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