Ottawa et Québec veulent exploiter les richesses naturelles sans débat préalable
Le ministre fédéral de l'Environnement, Peter Kent, a été littéralement mis sous tutelle cette semaine par son collègue des Ressources naturelles, Joe Oliver, qui parraine l'allégement législatif et réglementaire de l'évaluation environnementale au niveau fédéral.
Mais ce qui apparaît comme une tutelle est conforme, en réalité, à ce qu'annonçait dès sa nomination Peter Kent. Ce dernier se présentait alors non pas comme un réformateur en environnement, et surtout pas comme un ministre souhaitant renforcer le filet environnemental, mais comme un vendeur des politiques du gouvernement Harper.
Peter Kent, un ancien journaliste, a joué sans vergogne au chat et à la souris avec la communauté internationale, n'hésitant pas à mentir par omission durant la conférence internationale de Durban sur les changements climatiques en décembre dernier. Il a, en effet, attendu la fin de la conférence pour confirmer le retrait du Canada du protocole de Kyoto alors que cette décision avait déjà été prise par le cabinet. Cette esquive lui a permis de contribuer à miner tout consensus pour un prolongement de Kyoto à une table de négociation de laquelle il aurait dû, avec un minimum de décence, se retirer.
Peter Kent a poursuivi son marketing des politiques gouvernementales en reprenant à son compte, jusque sur les tribunes internationales, l'expression «pétrole éthique» créée par un allié stratégique de l'industrie pétrolière. Pour Peter Kent, le pétrole de l'Ouest est peut-être plus «sale» que les autres pour le climat, mais il provient d'un pays qui paye bien ses travailleurs, qui touche des redevances et qui respecte les droits de la personne, dont ceux des femmes. Pour lui, le débat sur les impacts de cette exploitation sur le climat planétaire est secondaire par rapport aux aspects sociaux, même s'il est démontré que les changements climatiques vont exacerber les conditions de vie dans les pays pauvres, et tout particulièrement aux dépens de la condition des femmes. Voilà une «éthique» politique qui passe peut-être dans l'Alberta du Wildrose Party, mais pas beaucoup au Québec.
Extraire pour qui?
La réforme de l'évaluation environnementale au niveau fédéral est enrobée de clichés économiques primaires: développement, emplois, prospérité, etc. Mais, à sa face même, il s'agit de renforcer une politique énergétique régionale en faveur de l'Ouest, qui tient lieu de politique économique et énergétique nationale et qui feint d'ignorer qu'elle a des impacts sur l'industrie manufacturière de l'est du pays. Sa prémisse est simpliste: ce qui est bon pour l'industrie pétrolière ou minière est bon pour le Canada.
Ce raisonnement remplace le mot «colonie» par celui de «multinationale» dans la traditionnelle justification du pillage des ressources d'un territoire en échange d'emplois temporaires, en évitant tout débat sur l'épuisement de ces ressources et sur les stratégies qui permettraient d'en optimiser les bénéfices, y compris pour les prochaines générations.
Il est impératif pour un gouvernement, dans une telle logique, d'éviter tout questionnement public sur la pertinence de développer au rythme des multinationales le pétrole et les minéraux d'un territoire dans un contexte de pénurie croissante des grandes ressources de base. Seuls les grands groupes environnementaux posent en audience publique des questions sur la pertinence de développer maintenant ou plus tard ces ressources, d'extraire moins de ressources mais d'augmenter le nombre d'emplois en exigeant inconditionnellement sur place leur transformation secondaire, voire tertiaire. Ce sont aussi les seuls qui ont l'expérience et les ressources pour contre-expertiser les grands projets, dont l'examen en audience sera limité aux personnes «directement concernées», selon le projet d'Ottawa.
Ces questionnements se situent aux antipodes des stratégies de développement des industries extractives déployées, actuellement envisagées par les gouvernements Harper et Charest.
C'est cette stratégie économique d'exploitation primaire qui a permis à la Compagnie de la Baie-d'Hudson de contrôler, avec les privilèges d'un gouvernement, pendant des décennies, une énorme partie de l'Amérique du Nord et d'en écrémer les ressources fauniques. Puis ce fut le tour de nos forêts de pins et de chênes.
Puis des sapins et des épinettes pour les papetières au XXe siècle. On peut se demander si le Québec d'aujourd'hui fait mieux en voulant harnacher ses dernières rivières vierges, aux dépens de la biodiversité mondiale, pour satisfaire la boulimie énergétique des États-Unis et de nos propres gaspilleurs invétérés.
Ou si l'enchère de nos ressources minérales dans un contexte d'échange de faveurs au «salon» du Plan Nord correspond vraiment à la vision d'un véritable développement collectif.
Une partie de la réponse sera certainement donnée dimanche dans la rue par plusieurs de ces citoyens qui, contre toute attente, ont démontré leur capacité à recentrer ce genre de dossier.
En effet, dans celui des gaz de schiste, les entrepreneurs ont été assagis par leur résistance. Ils ont certes réduit à presque rien leurs projets d'exploration en raison d'un marché à la baisse, mais certainement aussi en raison de la virulence de cette réaction citoyenne sans précédent, probablement la plus forte enregistrée sur le continent jusqu'ici.
L'éclipse environnementale
Autant le gouvernement Harper tente d'éviter tout débat sur les enjeux climatiques, sociaux et environnementaux en allégeant les règles fédérales de l'évaluation environnementale, autant le gouvernement Charest a réussi jusqu'ici à éviter, mais autrement, les mêmes questions sur la pertinence des projets hydroélectriques et d'une politique d'extraction minérale sans obligation de transformation.
Québec a déposé cette semaine un projet de loi censé protéger la moitié du Grand Nord. Il protégera selon les critères rigoureux de l'Union internationale de la conservation de la nature une portion de 20 % de ce territoire. Mais dans l'autre partie -- le 30 % censément protégé lui aussi -- Québec avait promis de n'autoriser que des «activités non industrielles». Mais voilà que son projet de loi autorisera «l'utilisation durable des ressources» dans cette portion, ce qui est nettement plus large et inquiétant, nous signalait cette semaine Suzann Méthot, la coordonnatrice d'un des comités du Plan Nord sur les questions de conservation et d'environnement.
Cette façon de faire tente de légitimer en réalité l'absence d'une évaluation stratégique environnementale (EES) dans les règles de l'art, la seule façon crédible d'identifier les véritables enjeux de ce développement dans le cadre d'une stratégie fondamentalement axée sur la recherche de l'intérêt général à long terme.
Mais dans le cas du Plan Nord, Québec n'a pas à rogner sur ses mécanismes d'évaluation environnementale, comme Ottawa doit le faire, car les règles de l'évaluation environnementale qui s'appliquent dans le sud du Québec ne s'appliquent pas dans le Grand Nord.
Des règles du jeu différentes y ont été plutôt définies dans la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.
On peut reprocher bien des faiblesses aux évaluations faites par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), le responsable de l'évaluation des projets dans le sud du Québec. Mais son mandat l'oblige théoriquement à aider Québec à prendre la décision la plus pertinente dans une logique d'intérêt public supérieur et de développement durable. Ce qui n'est pas le cas de la complexe mécanique d'examen et d'évaluation de la Convention de la Baie-James.
Les comités d'examen et d'évaluation de la Convention sont en effet tripartites et liés aux parties, contrairement au BAPEoù les commissaires doivent être absolument indépendants. Ces comités représentent directement les intérêts de Québec, d'Ottawa et des autochtones. On est ici dans une logique d'arbitrage où les parties cherchent un compromis acceptable à chacun, ce qui n'est pas nécessairement une affirmation de l'intérêt général et des générations futures.
Les revendications des autochtones pour une plus grande part des emplois et des contrats du Plan Nord ne dépassent pas beaucoup la bonne vieille logique de l'époque coloniale. Ils en sont aux emplois temporaires alors que dans ces dossiers l'essentiel devrait porter sur la transformation, soit l'industrie du savoir, qui se déménage beaucoup moins facilement que le minerai dans des cales de navire.
Il n'y aura donc pas de débat public, avec étude de scénarios et contre-expertises des propositions de base, afin d'optimiser le développement du Grand Nord québécois, un débat, en somme, comme celui que veut éviter le gouvernement Harper sur les grands enjeux liés aux sables bitumineux. La Convention de la Baie-James va éviter ce débat à Québec et le limiter à la négociation, de plus en plus directe d'ailleurs entre compagnies et autochtones, donc de plus en plus éloignées d'un débat de société, ce que certains présentent comme un heureux développement...
Voilà des stratégies que de plus en plus de personnes estiment contraires à la philosophie qui a donné naissance