Gaz de schiste - «Au fil du temps, nos inquiétudes sont devenues des certitudes»
À mettre l'accent comme il le fait sur le développement de la filière du gaz de schiste et des sources d'énergie fossiles, au détriment des sources d'énergie renouvelables et de l'efficacité énergétique, le gouvernement québécois recourt à une approche carrément destructrice. C'est du moins ce que croient Kim Cornelissen, vice-présidente de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), et Serge Fortier, porte-parole du Regroupement interrégional gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent (RIGSVSL).
«On travaille les choses à l'envers », se désole Kim Cornelissen, membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, qui regroupe 164 individus venus de divers horizons. Selon elle, le gaz de schiste et les autres sources d'énergie fossiles devraient constituer la dernière option à considérer pour répondre à nos besoins énergétiques,?après?les?nombreuses?solutions?de?rechange vertes possibles. Or, le gouvernement québécois démontre plutôt qu'il fonctionne de la façon contraire : tant qu'il y aura des sources d'énergie fossiles à exploiter, il semble qu'elles seront préférées aux sources d'énergie renouvelables et à l'efficacité, quitte à devoir déployer les efforts et les sommes nécessaires pour faire accepter ce qui semble inacceptable aux yeux d'un nombre croissant de scientifiques et de citoyens de mieux en mieux informés. On devrait plutôt s'inspirer de ce que fait la Suède en ce moment, dit cette urbaniste de formation, qui s'oriente vers un développement maximal des sources?d'énergie?renouvelables d'abord.
Quelle pertinence?
Pour elle et pour Serge Fortier, horticulteur écologiste depuis trente ans, le gouvernement ne prend pas au sérieux les sources d'énergie renouvelables. Le processus d'évaluation entamé par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) et poursuivi maintenant par le biais d'une Évaluation environnementale stratégique (ÉES) ne se veut qu'un encadrement de l'industrie gazière et pétrolière dans son processus d'exploration et d'exploitation, et il n'évalue en rien la pertinence de la filière du gaz de schiste, ni d'ailleurs celle des solutions de rechange énergétiques. « Le BAPE a recommandé de faire une ÉES, mais le comité qui a été formé n'est même pas crédible, déplore M. Fortier. Il n'y a aucun représentant des groupes citoyens et écologistes reconnus, tandis qu'il y a une représentante de l'entreprise gazière Talisman Energy, qui est lobbyiste pour l'industrie gazière. » Mme Cornelissen rappelle que ce comité « a reçu sept millions de dollars pour examiner la faisabilité de l'emploi du gaz de schiste », et non sa pertinence. Son plan de réalisation final, dévoilé au début d'avril, démontre d'ailleurs bien ses orientations et son peu d'intérêt pour le développement durable.
Au chapitre des sommes investies, l'enthousiasme gouvernemental envers la filière du gaz de schiste fait de l'ombre aux avenues vertes, pourtant intéressantes tant au niveau écologique qu'économique. « Il y a une disparition officielle des sources d'énergie renouvelables des investissements, affirme Mme Cornelissen, parce que tout l'accent est mis à essayer de convaincre la population et à financer les projets pétroliers et gaziers, comme si c'était le modèle à suivre, une espèce d'Eldorado. » Même son de cloche chez Serge Fortier, qui note un ralentissement des investissements. « Il y a des études qui prouvent que le fait d'investir dans les hydrocarbures et de subventionner au coton les compagnies gazières, comme c'est le cas actuellement pour instaurer l'exploitation du gaz de schiste, cela a pour conséquence une baisse des sommes disponibles pour la promotion et le développement des sources d'énergie renouvelables au Québec. »
S'informer et informer
Bénévole à temps plein pour le Regroupement interrégional, organisme à but non lucratif qui coordonne près de 80 comités de citoyens de la vallée du Saint-Laurent, M. Fortier affirme s'être donné pour mandat de connaître de la façon la plus globale possible le dossier du gaz de schiste. Il dit avoir investi personnellement environ 3000 heures depuis vingt et un mois dans cette tâche et il constate régulièrement que les représentants du gouvernement et même des entreprises n'ont généralement qu'une vision très étroite de cette industrie. Son récent voyage au pays du gaz de schiste qu'est la Pennsylvanie lui a fait voir les impacts « énormes » d'une exploitation sur un territoire agricole habité. « Au fil du temps, nos inquiétudes sont devenues des certitudes. » Le mot d'ordre semble être « No pasarán ». L'industrie ne passera pas. Une campagne de signatures, qualifiée de référendum citoyen, est en oeuvre et consiste à cumuler les déclarations de refus d'accès chez les gens de la vallée du Saint-Laurent. « C'est une décision citoyenne consciente qui se prend sur le terrain. »
Alors que le gouvernement met tant d'efforts à instaurer l'exploitation des gaz de schiste contre vents et marées, il serait bien plus facile, croit Kim Cornelissen, de présenter à la population des projets liés à des sources d'énergie renouvelables. « Quand on lance des projets de géothermie, de solaire et de biométhane, il n'y a pas de problème d'acceptabilité sociale. La seule source d'énergie renouvelable qui amène des problèmes dans ce sens-là, mais qui sont en train de se régler, c'est l'éolienne. La raison est simple : quand on débarque sur le territoire de quelqu'un en disant qu'on va y installer des éoliennes en raison d'un important gisement de vent, c'est sûr que les gens vont réagir, avec raison. Mais il y a des projets qui commencent à fonctionner parce qu'ils sont faits avec les gens. »
Biométhanisation
La biométhanisation semble être une avenue sûre et prometteuse. Ce procédé consiste à transformer des déchets organiques, comme du fumier et des restants de table, en gaz naturel, ce qui permet de régler des problèmes écologiques sans en créer d'autres. Il y a quelques années, le gouvernement libéral annonçait des investissements, et on prévoyait mettre sur pied une dizaine d'usines dans la province. Un beau projet de développement local, selon Mme Cornelissen, « mais le gouvernement n'en parle plus, parce que le biométhane a tous les avantages et le gaz de schiste, tous les inconvénients. Et c'est très facile de comparer les deux. » L'idée simple est de choisir le mode de production le plus intéressant pour produire le même gaz, du CH4. Selon M. Fortier, la biométhanisation pourrait combler jusqu'à 80 % des besoins actuels en gaz naturel du Québec.
La raison pour laquelle le gouvernement se concentre sur son « approche destructrice », croit celle qui est aussi consultante en développement régional et international, c'est que?la?filière?des?sources d'énergie renouvelables reste un monde à bâtir, tout à fait réalisable, mais qui concerne d'autres modèles financiers et une vision moins spéculative. « Les sources d'énergie renouvelables sont généralement faites pour être produites et utilisées localement. Et elles ne peuvent pas se tarir. » S'engager dans les sources d'énergie fossiles est un projet écologiquement dangereux, non viable, dont l'empreinte écologique est, elle, tristement durable...
Le RIGSVSL lance un appel à tous pour le grand rassemblement prévu demain, le 22 avril, à 14 heures au Quartier des Spectacles, dans le cadre du Jour de la Terre. Kim Cornelissen donnera une conférence le 25 avril prochain à l'UQAM sur le thème « Alternative aux gaz de schiste ».