Les multinationales vampirisent le Sommet de la Terre
Par Olivier Hoedeman (CEO), Reporterre
Le sommet de la Terre, dit Rio + 20, aura lieu en juin. Les agences de l’ONU le préparent en donnant une large place aux firmes multinationales, qui imposent leurs concepts et leurs intérêts.
Dans moins de trois mois, du 20 au 22 Juin 2011, le sommet de l’ONU Rio +20 se tiendra à Rio de Janeiro. Or on constate un degré de plus en plus préoccupant de collaboration pour ne pas dire d’accaparement des principales agences de l’ONU par des multinationales.
L’objectif du sommet est d’évaluer les progrès accomplis depuis le premier Sommet de la Terre et de relever les nouveaux défis. La réforme institutionnelle de la gouvernance sur les questions environnementales mondiales sera à l’ordre du jour. Elle pourraient conduire à un renforcement du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement), sachant que la proposition française d’une Organisation mondiale de l’environnement ne sera pas acceptée.
Les attentes sont faibles cette fois-ci en termes de résultats concrets, mais Rio +20 sera néanmoins un champ de bataille idéologique très important.
Que propose le PNUE ?
Le PNUE promeut une « Économie verte », concept qui devrait remplacer celui de « développement durable ». En Février 2011, le PNUE a lancé sur ce sujet un rapport de 700 pages (GER) très médiatisé. L’idée est que les gouvernements cessent les subventions préjudiciables à l’environnement (aux combustibles fossiles, à la pêche industrielle, etc.) et utilisent ces fonds pour investir dans des technologies nouvelles, libérant ainsi des investissements massifs pour permettre de passer à l’Économie verte.
Les organisations non gouvernementales (ONG), critiquent cette approche car elle ignore les causes profondes de la crise écologique pour mettre l’accent sur la croissance économique, sur la technologie et sur les approches axées sur le marché. Le fait que l’auteur le plus influent du rapport et son porte-parole principal soit Pavan Sukdhev, mis à la disposition du PNUE par la Deutsche Bank, peut en expliquer l’orientation mercantile.
Les nouvelles technologies promues dans ce rapport sont controversées, comme l’incinération de la biomasse, la biologie synthétique, les nanotechnologies, etc. Le nucléaire et les OGM sans être explicitement approuvés, sont considérés comme compatibles avec l’approche du rapport.
Malgré l’échec cuisant du marché du carbone, Sukdhev préconise une approche financière. Il s’agit de quantifier et d’évaluer les services rendus par la nature : filtrage de l’eau, capture du carbone… pour créer un marché de crédits de biodiversité négociables que l’on pourra compenser, échanger ou vendre. Pour le PNUE, assigner à la nature une valeur monétaire, un prix, serait la meilleure façon de la protéger !
Ce Rapport sur l’économie verte est aussi soutenu par la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
La marchandisation de la nature contestée
Pavan Sukdhev, qui est aussi membre du conseil de Conservation International, était déjà l’auteur d’un premier rapport du PNUE présenté au Sommet de la biodiversité des Nations Unies à Nagoya, au Japon en 2010, dans lequel cette approche était déjà exposée en détail.
Il a des adeptes non seulement au PNUE, mais aussi parmi plusieurs gouvernements européens et surtout à la Commission européenne. Janez Potocnik, le Commissaire européen à l’Environnement a déclaré : « Nous devons passer d’une protection de l’environnement contre les entreprises, à une protection de l’environnement grâce aux entreprises. » La stratégie européenne de négociations commerciales pour accéder à de nouveaux marchés et matières premières « Global Europe », et la stratégie « Europe 2020 » de réformes néolibérales en Europe sont sur la même ligne, comme les politiques climatiques fondées sur le marché dans lesquelles l’UE s’est engagée.
Pour les ONG cette marchandisation et cette privatisation de la nature compromettent la protection des biens communs par les communautés et les États, le rapport du PNUE étant la manifestation d’une croyance aux marchés d’autant plus stupéfiante qu’elle survient juste après la crise financière. Comme si les échecs chroniques de la déréglementation et des approches basées sur le marché n’avaient jamais eu lieu.
La société civile et les pays en développement du G77 sont méfiants face à l’approche de l’Économie verte qui met l’accent sur la croissance, sur des gadgets technologiques et sur la marchandisation de la nature. C’est tout le contraire de pays comme la Bolivie et d’autres pays latino-américains qui ont eux, une vision basée sur la possibilité pour les êtres humains de vivre en harmonie avec la nature, à laquelle on doit reconnaître des droits constitutionnels.
Certains observateurs prédisent que cet affrontement va s’intensifier, conduisant éventuellement à un conflit Nord-Sud à Rio +20 similaire à celui de la COP16 à Copenhague.
Les liens entre le PNUE et l’industrie globale
Le PNUE a travaillé en étroite collaboration avec les représentants de l’industrie mondiale sur les préparatifs de Rio +20 et un échéancier de l’économie verte. En Avril 2011, le PNUE a organisé à Paris, avec la Chambre de commerce internationale (CCI), un des lobbies de l’industrie, une réunion de 200 représentants d’entreprises pour présenter le Rapport sur l’Économie verte. La tonalité d’ensemble des commentaires était positive, mais la CCI a aussi émis des critiques sur les énergies renouvelables dont la part, dans le rapport, a été considérée comme trop importante.
La réponse de la CCI a été rédigée par un groupe de travail comprenant des représentants d’Exxon Mobil, Shell, RBS, Monsanto, BASF et Suez, connus pour leur peu de souci de l’environnement.
L’un des orateurs principaux à la conférence de Paris était Chad Holliday (président de la Bank of America et ancien patron de Dupont). Il dirige Business Action for Sustainable Development 2012 (BASD 2012), principal porte parole des entreprises mondialisées, dont la mission est de « veiller à ce que les entreprises soient reconnues comme sources de solutions. »
Il semble que Rio +20 prenne le chemin déjà parcouru par Rio +10, à Johannesburg en Septembre 2002, où se sont créés de véritables « partenariats » entre l’industrie et les ONG, l’industrie et les gouvernements et l’industrie et les organismes des Nations Unies. Poussant à davantage de collaboration entre le public et le privé, Kofi Annan avait alors déclaré : Si nous ne le faisons pas, nous risquons que les gouvernements passent des lois et posent des limites qui ne sont pas indispensables.
L’ONU dans la nébuleuse du Big Business
De nombreuses entreprises multinationales ont désormais de cinq à dix partenariats avec chacune des agences onusiennes, par exemple :
- Shell et le PNUE sur la biodiversité ;
- Coca-Cola et le PNUD [Programme des Nations unies pour le développement] sur la protection des ressources en eau ;
- Nestle et le PNUD sur l’autonomisation des communautés rurales ;
- BASF, Coca-Cola et ONU-Habitat sur l’urbanisation durable.
Le problème avec de tels partenariats est qu’ils conduisent inévitablement à des conflits d’intérêts, parce que les entreprises ont des objectifs commerciaux, tandis que les agences de l’ONU devraient poursuivre des objectifs de politique sociale et environnementale. Il devient donc de plus en plus difficile pour l’ONU de critiquer ses partenaires commerciaux et de remplir son rôle de régulateur.
Le plus problématique de tous est le Global Compact, mis en place en 2000 par Kofi Annan et le PDG de Nestlé de l’époque Helmut Maucher, pour encourager les améliorations volontaires par les entreprises, sans que l’ONU ait les moyens de vérifier ou de surveiller, et encore moins de sanctionner. Plus de 7000 entreprises ont adhéré, en s’engageant sur un maximum de dix principes généraux…
L’unité d’inspection de l’ONU a émis des critiques de ce Pacte « Global compact » car les entreprises s’en servent pour faire leur communication sans qu’on puisse vérifier aucun changement dans leurs méthodes.
Le fait que le Global compact soit aujourd’hui l’un des trois principaux partenaires du Lobby Business Action pour le Développement Durable 2012 (BASD 2012), avec la CPI et le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBCSD ) semble étrange, sinon contre nature, puisque c’est aussi un bureau de l’ONU dont les activités sont de plus en plus floues.
Critiquer la cooptation croissante entre l’ONU et l’industrie devrait être une priorité dans la perspective de Rio +20.