La mort est dans le pré


Entité: 
Le Monde
Date de la référence: 
16 Avril, 2012

Le 15 février, Paul François, un agriculteur charentais, a gagné en première audience un procès qui l'opposait à la firme Monsanto, multinationale spécialisée dans les engrais et les pesticides. En 2004, cet homme, aujourd'hui âgé de 47 ans, était tombé gravement malade après avoir inhalé involontairement un puissant herbicide (le Lasso) fabriqué par la firme américaine. Sa victoire en justice est une première pour le droit environnemental. Car pour la grande majorité des agriculteurs victimes de maladies graves liées à l'usage intensif de pesticides dans le cadre de leur travail, c'est encore et toujours l'omerta.

" C'est compliqué de parler parce que le monde paysan est un monde qui se tait ", raconte le père de Frédéric, un jeune viticulteur aujourd'hui décédé. Après avoir aspergé ses vignes de pesticides pendant plusieurs décennies, il s'est battu contre un cancer de la vessie qui a fini par l'emporter. Mais si son médecin rappelle que 5 à 25 % des cancers de ce type sont liés à des produits toxiques, la Mutuelle de santé agricole (MSA) a toujours refusé de reconnaître son cancer comme maladie professionnelle.

DES VICTIMES QUI PASSENT POUR DES POLLUEURS

C'est le cas, la plupart du temps, lorsque des agriculteurs (de plus en plus nombreux) développent des maladies vraisemblablement liées aux produits qu'ils ont utilisés dans le cadre de leur travail. " On avait foi en la science... On ne s'attendait pas à être pris dans un piège ", poursuit le père du viticulteur, digne mais désespéré de voir les dommages humains et les dégâts sur l'environnement causés par quelque cinquante années d'agriculture intensive.

Alors que l'industrie chimique leur avait promis des miracles et que les politiques les poussaient à produire toujours plus, les paysans se retrouvent aujourd'hui empoisonnés par les pesticides qu'ils ont été encouragés à employer dans leurs champs. Comble de l'absurde, à l'heure du retour à l'agriculture raisonnée ou biologique, ils passent pour des pollueurs, des empoisonneurs, et personne ne se soucie de leur sort ou de leur santé.

Dommage qu'il faille attendre la deuxième partie de soirée pour voir cet excellent documentaire, tant par le sujet crucial qu'il aborde que par sa facture, particulièrement intelligente et sensible. Loin des reportages formatés et interchangeables que diffusent en général les chaînes dans leurs magazines d'information, ce documentaire signé Eric Guéret (Manger peut-il nuire à la santé ? diffusé en 2011 sur France 3) se distingue par son écriture. Le réalisateur a en effet choisi de confier le récit de son film à Caroline Chenet, la veuve de Yannick Chenet, première (et rare) victime des pesticides reconnue par la MSA. C'est elle qui raconte avec justesse la réalité du monde paysan dans ce très beau film.

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