Procès de «l’Erika» : élus et associations consternés
Naufrage. Les révélations sur la possible annulation du jugement condamnant Total inquiètent écologistes et collectivités touchées.
La révélation vendredi d’une possible annulation par la Cour de cassation de toute la procédure judiciaire qui a découlé du naufrage de l’Erika, le pétrolier brisé en deux le 12 décembre 1999, a consterné les habitants des côtes bretonnes, leurs élus et les militants écologistes. «C’est profondément injuste», confiait à l’AFP Jean-Pierre Bernard, maire de Mesquer en Loire-Atlantique. Dans son avis, l’avocat général de la Cour de cassation a demandé l’annulation du procès en appel, la cassation sans renvoi.
«Intolérable». Selon lui, la justice française n’était pas compétente pour statuer sur cette affaire, car l’Erika, navire sous pavillon maltais, était, lors du naufrage, en zone économique exclusive, c’est-à-dire hors des eaux territoriales. Ce serait donc la loi de l’Etat du pavillon, en l’occurrence Malte, qui s’appliquerait. Il balaye aussi la notion de préjudice écologique, que les procès en première instance en 2007 et en appel en 2009 avaient permis d’introduire dans la jurisprudence.
«Si d’aventure la Cour de cassation suivait l’avis de l’avocat général, ce serait le retour à la loi de la jungle sur mer, s’indigne Jean-Yves Le Drian, président (PS) de la Bretagne et ancien secrétaire d’Etat à la Mer. Une sorte de reconnaissance du droit à polluer en mer. Intolérable !» «La colère bretonne sera très forte», prévient-il.
Pour Allain Bougrain Dubourg, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), seule association à avoir demandé dès 2007 la réparation du préjudice écologique (quelque 150 000 oiseaux mazoutés, 75 000 recueillis, 12 000 sauvés), «il est scandaleux que l’on arrive à tordre le droit pour effacer ce qui s’impose. L’Erikas’est brisé à 70 km du littoral, à une trentaine de kilomètres de la zone des eaux territoriales, et pour 30 km, on va tout remettre en cause et effacer le préjudice écologique ? C’est indécent.»
Du côté de Total, on souligne que l’analyse de l’avocat général «conforte» ce que le groupe a toujours dit sur «l’incompatibilité entre les traités internationaux et le code pénal français». Dans un communiqué publié vendredi soir, le groupe affirme : «ce qui est en cause, c’est l’affirmation du droit maritime et la cohérence entre le droit pénal français et les traités internationaux que la France a ratifiés». L’avocat de Total, Daniel Soulez-Larivière, précise que même si la Cour de cassation suivait l’avis de l’avocat général, cela ne remettrait pas en cause les indemnisations versées aux collectivités locales et associations et sont «définitives», soit «171 millions d’euros de dommages et intérêts». Pas plus que «les 200 millions d’euros versés par Total» pour le nettoyage des plages.«Cela rend la situation plus sereine pour que nous puissions enfin faire du droit», estime-t-il.
«Fantasme». L’avocat réfute en outre l’hypothèse avancée vendredi dans Libération par le président PS de la région Pays-de-la-Loire, Jacques Auxiette, d’une relation étroite entre l’Etat et Total sur le règlement de ce dossier. «Un fantasme, dit-il. Cette histoire s’est réglée entre Total, Rina et les parties civiles, sans aucune discussion avec l’Etat.» Dans son communiqué, le groupe insiste :«Le procès qui est fait à Total est sans aucun fondement, il n’y a eu aucune "entente" avec l’Etat.»
Interrogé par Libération, Jacques Auxiette persiste : «Il ne fait aucun doute pour nous que, depuis le début, soit par manque de volonté, soit par différentes pressions, l’Etat a tenté d’aider Total à se sortir de cette mauvaise passe.» Il rappelle que, lors du premier procès, l’Etat avait refusé de demander réparation du préjudice écologique ; et avait écarté de faire appel après le jugement en 2008. En 2011, affirme-t-il, «de nombreux contacts ont eu lieu, de façon parallèle et croisée, entre les parties civiles, Total et Bercy, pour le règlement global».
Le 24 mai, devant les magistrats de la Cour de cassation, les avocats des parties civiles tenteront de faire valoir leurs conclusions.La Cour peut confirmer le jugement en appel, le casser et renvoyer à un nouveau procès ou bien tout annuler, casser sans renvoi, comme l’y incitent l’avocat général et le rapporteur.