Rio + 20 : un sommet qui jouera petits
1992. La conférence de Rio marque un tournant dans la prise de conscience mondiale sur les questions d’environnement.• 2012. Le prochain sommet de la Terre, Rio + 20, se déroulera du 20 au 22 juin dans la métropole brésilienne. On sait déjà qu’il n’y aura pas de nouveau traité, s’insurge le journaliste britannique Fred Pearce.• Mais si gouvernements et institutions délaissent l’écologie, scientifiques et associations locales sont plus que jamais engagés.
Il serait facile d’être cynique. En 1992, plus de cent dirigeants du monde entier, parmi lesquels George H. W. Bush, étaient venus à Rio de Janeiro assister au sommet de la Terre. Ce mégaévénement de deux semaines avait suscité un intérêt énorme, conduit à la signature de deux traités révolutionnaires sur le changement climatique [la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc)] et sur la biodiversité [la Convention sur la diversité biologique (CDB)], et donné lieu à de grandes déclarations sur la création d’un monde vert et équitable.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux décennies qui ont suivi n’ont pas vraiment tenu ces promesses. George W. Bush a rompu le traité sur le climat signé par son père en refusant de ratifier le protocole de Kyoto. Les émissions de gaz à effet de serre ont considérablement augmenté, le pillage des ressources naturelles s’est intensifié, la nature recule toujours, le monde est devenu moins équitable et le changement climatique, qui était une perspective lointaine, est désormais une réalité effrayante.
Les aspirations du sommet de Rio ont été confiées à un nouvel organe, la Commission des Nations unies pour le développement durable (CDD). Vous n’en avez probablement jamais entendu parler. Et c’est mauvais signe puisque c’est cette commission qui organise Rio + 20, le prochain événement qui doit permettre de laisser une planète habitable aux générations futures. Rio + 20 se tiendra dans la mégalopole brésilienne en juin. Il est aisé de conclure que nos dirigeants ne s’y intéressent pas vraiment. Le sommet ne durera que trois jours (du 20 au 22 juin) au lieu de quatorze pour le précédent. Le président Obama n’y assistera pas. Les organisateurs craignaient tellement qu’aucune personnalité importante ne se déplace qu’ils ont repoussé l’événement après avoir appris, il y a quelques mois, qu’il risquait d’empiéter sur les célébrations du jubilé de diamant de la reine Elisabeth II.
Vingt ans de marche arrière
Le draft zero [projet zéro] (ah, le jargon des Nations unies, quel régal !) communiqué par la CDD à la fin de janvier laisse entendre qu’on ne demandera pas aux participants de signer quoi que ce soit de substantiel qui ne figure pas dans la déclaration de Rio d’il y a vingt ans. Donc, il n’y aura pas de nouveau traité, il y aura beaucoup de belles paroles mais pas de plan d’action.
C’est bien beau d’appeler à une “économie verte” mais, comme le fait remarquer la Green Economy Coalition, un regroupement d’ONG, d’instituts de recherche, d’organisations des Nations unies, d’entreprises et de syndicats, le texte ne mentionne pas comment y parvenir. “Comment allons-nous financer une économie verte et juste ? Comment faire en sorte que les plus pauvres en profitent ?[…] Comment une économie verte améliorera-t-elle la gestion de la nature ?” demandait-elle dans une déclaration rendue publique le mois dernier. Les responsables politiques occidentaux pensent peut-être qu’avec la crise économique, l’année 2012 n’est pas le bon moment pour s’attaquer aux questions d’environnement. On peut leur répondre que si nous sommes dans ce pétrin, c’est, entre autres, à cause de la rapacité avec laquelle on a exploité les ressources naturelles au cours des vingt dernières années – ce qui a provoqué, par exemple, une forte augmentation du prix des matières premières – et
que “l’économie verte” est la seule solution à long terme.
Le fait est que nous sommes allés en marche arrière au cours des deux dernières décennies. La puissance croissante de grands pays en développement comme la Chine et le Brésil fait souvent reculer les projets internationaux en matière de développement durable. Les gouvernements de ces pays considèrent même que les directives internationales actuelles, qui prônent mollement des normes sociales et environnementales dans les projets de développement, empiètent sur leur souveraineté nationale et freinent leur croissance économique au lieu de les renforcer et de les rendre durables.
Résultat, selon Andy White, coordinnateur de Rights and Resources Initiative, une association de Washington, “il n’y a rien dans le projet de document Rio + 20 qui évoque les droits des pauvres sur leurs terres et leur forêt, alors que nous savons qu’ils protègent bien mieux la nature que les gouvernements ou les entreprises privées”.
Le bricolage habituel ne suffit pas. Ce qu’il faut, c’est une gouvernance écologique pour cette planète surpeuplée au bord de l’épuisement. Il est temps de redéfinir le programme du sommet Rio + 20.
Et, dans cette optique, les chercheurs du monde entier font leur possible. Ils savent mieux que quiconque à quel point les écosystèmes se sont détériorés depuis 1992 et à quel point une catastrophe écologique et climatique est imminente.
Le Conseil international de la science (Icsu), qui représente les organismes scientifiques de 140 pays, parmi lesquels l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis, a tenu une conférence à Londres ce mois-ci dans le but de pousser les responsables politiques à entreprendre des actions concrètes à Rio. Intitulé “Planet Under Pressure” [Planète sous pression], cet événement était l’une des conférences préparatoires officielles du sommet. Selon l’Icsu, “la forte recrudescence des catastrophes naturelles et des problèmes de sécurité alimentaire et d’eau ainsi que le recul de la biodiversité figurent parmis les signes d’une menace planétaire sur le point de se concrétiser”.
Rhétorique verte
Les chercheurs mettent en place des systèmes d’alarme pour repérer ces points critiques. Si ces systèmes avaient existé il y a quarante ans, ils auraient peut-être signalé l’émergence brutale d’un trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique.
Mais les scientifiques n’entendent pas se contenter de prédire des catastrophes, ils veulent aussi les arrêter. Pour cela, il faut de nouvelles institutions et de nouveaux acteurs. Selon Frank Biermann, de l’université libre d’Amsterdam, qui dirige le projet Gouvernance du système Terre à l’Icsu, “nous devons réorienter et restructurer nos institutions nationales et internationales”.
“Il nous faut un moment constitutionnel, précise-t-il, un moment similaire au grand mouvement transformateur d’après 1945 qui a mené à l’établissement des Nations unies et d’autres institutions internationales, comme la Banque mondiale. Il nous faut au minimum quelque chose comme un Conseil de sécurité environnementale des Nations unies – un organe qui ait vraiment le pouvoir de demander des comptes aux gros pollueurs, aux ravageurs d’écosystèmes et aux pilleurs de ressources.”
Le sommet Rio + 20 manque cruellement d’apports extérieurs. D’après le programme et le projet de texte officiels, les responsables politiques ne semblent vraiment pas décidés à aller au-delà de la rhétorique verte que nous avons entendue dans la bouche de leurs prédécesseurs il y a vingt ans, dans la même ville. Ce n’était déjà pas suffisant à l’époque, ce n’est assurément pas suffisant aujourd’hui.
(Statistiques disponibles dans la rubrique À la une, Hebdo 1117, site internet Courrier international)
Note : *Journaliste et écrivain spécialiste de l’environnement, Fred Pearce contribue à de nombreux journaux, sites et revues anglophones comme The New Scientist, The Guardian, Yale Environment ou The Boston Globe. Il est l’une des voix les plus influentes au monde dans les domaines de l’écologie et du développement.