Les événements climatiques extrêmes, nouvelle réalité
Sécheresses intenses, pluies diluviennes, tempêtes tropicales et autres ouragans dévastateurs : les coups durs du climat se sont multipliés et intensifiés au cours de la dernière décennie. C'est ce que conclut une étude publiée dans Nature climate change lundi. Mais au-delà des simples courbes et statistiques, la question qui divise la communauté scientifique réside dans l'enjeu de la responsabilité : variabilité naturelle du climat ou effet du changement climatique d'origine anthropique ? Les auteurs de ce nouveau rapport sont catégoriques : il existe un lien entre les activités humaines et l'intensification des événements climatiques extrêmes.
Pour obtenir ces résultats, Dim Coumou et Stefan Ramstorf, chercheurs à l'institut du climat de l'université allemande de Potsdam, ont étudié les événements climatiques des dix dernières années dépassant de précédents records, à l'aide de 86 articles scientifiques, et les ont comparés à des séries statistiques plus longues grâce à des modèles climatiques. (schéma disponible sur le blog)
Les canicules.
En 2003, l'Europe a vécu son été le plus chaud depuis 500 ans (entraînant 70 000 morts), une vague de chaleur sans précédent a embrasé le bush australien en 2009, et en 2010, la Russie a été confrontée à une canicule affectant sa population (11 000 personnes en seraient mortes rien qu'à Moscou) et ses récoltes (baisse de 30 % de la production céréalière en raison de la sécheresse et des incendies, forçant Moscou à interdire les exportations de blé).
Ces chaleurs extrêmes sont de plus en plus fréquentes. Les étés, surtout, comme le montre cette courbe de Gauss de la moyenne climatique entre 1500 et 2002 – avec, en bleu, les années records de fraîcheur estivale, et en rouge, celles de chaleur. Le graphique du bas indique la fréquence décennale des étés extrêmes (définis comme les 5 % les plus chauds de la période entre 1500 et 2002).
Mais ces extrêmes ne concernent pas que les périodes estivales. Aujourd'hui, sur l'ensemble de l'année, le nombre de records atteint par les températures mensuelles sur le globe est trois fois supérieur à celui qui devrait être observé dans un climat stationnaire (schéma disponible sur le blog)
Au total, neuf des dix années les plus chaudes enregistrées l'ont été au cours de la dernière décennie — 2010, 2005 et 1998 constituent les trois records de températures moyennes depuis le début des relevés en 1880. Pour les deux chercheurs, un lien existe entre ces canicules et le réchauffement climatique provoqué par l'homme. Leur étude rejoint ici nombre de travaux scientifiques, et notamment ceux du laboratoire de la NASA, le Goddard Institute for Space Studies dirigé par James Hansen, pour lequel la hausse des températures est largement soutenue par l’augmentation des concentrations des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, particulièrement du dioxyde de carbone, produit par les activités humaines (production d'énergie, transports, industrie, etc). La concentration de CO dans l'atmosphère, de 285 parties par million en 1880, a ainsi aujourd'hui dépassé les 390 parties par million, soit davantage que le taux maximal "acceptable" de 350 ppm.
Les pluies intenses
La dernière décennie a connu un nombre record de précipitations extrêmes et dévastatrices, telles que les inondations dramatiques au Pakistan en juillet 2010 (20 millions de personnes affectées et au moins 3 000 morts) ou celles dans l'Est de l'Australie en décembre de la même année (l'épisode le plus intense dans le pays depuis 1900, avec 2,5 milliards de dollars de dégâts).
Pour les scientifiques de l'université de Potsdam, ces épisodes de pluies intenses sont également à lier avec le changement climatique, du moins aux Etats-Unis, en Europe et en Australie, où des statistiques de longue durée existent et permettent d'établir des corrélations. Ainsi, les précipitations extrêmes (0,1 % des épisodes de pluie quotidiens) ont augmenté d'un tiers au cours du siècle dernier aux Etats-Unis. Et en Europe, les pluies extrêmes hivernales ont été multipliées par huit depuis 150 ans. Enfin, la quantité de vapeur d'eau dans l'atmosphère a augmenté de 4 % depuis 1970.
Les ouragans
2004 a vu le plus grand nombre de cyclones jamais comptés dans une année, et le doublement des plus puissants d'entre eux. Cette année-là, un cyclone a pour la première fois été enregistré en Atlantique Sud. Et en 2007, c'est la mer d'Arabie qui a été frappée par le plus puissant cyclone jamais observé dans la région, entraînant la plus grave catastrophe naturelle d'Oman.
Au final, les ouragans, cyclones et tempêtes tropicales les plus puissants sont plus nombreux. C'était aussi la conclusion de deux précédentes études publiées en 2005, la première dans Nature, qui montrait que l'énergie totale dissipée par les ouragans de l'Atlantique Nord et du Pacifique Ouest avait augmenté de 70 % depuis 30 ans, et la seconde, dans Science, confirmant que le nombre d'ouragans de catégorie 4 ou 5 a augmenté de 57 % entre 1970 et 2004.
Dans ce domaine, les scientifiques restent toutefois prudents. Ils estiment que si une augmentation du nombre et de l'intensité des ouragans entre 1980 et 2005 a bel et bien été mise à jour, il n'y a pas encore de preuve certaine qu'il s'agisse d'une conséquence du changement climatique d'origine anthropique.
En conclusion, les événements climatiques extrêmes se sont multipliés cette dernière décennie, et si l'on ne peut pas les lier un par un, de manière systématique, au changement climatique, ce dernier est bien responsable de cette tendance générale. "Les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent être liés à des oscillations climatiques régionales comme El Niño ou La Niña, concèdent les auteurs. Mais aujourd'hui, ces processus se déroulent dans un contexte de réchauffement climatique. Cela peut transformer un événement extrême en un événement de tous les records. Il est même très vraisemblable que plusieurs des phénomènes extrêmes sans précédents de la dernière décennie n'auraient pas eu lieu sans le réchauffement planétaire d'origine anthropique."