Protéger l'eau. Pour vrai!


Entité: 
Le Devoir,
Date de la référence: 
23 Mars, 2012

C'était hier la Journée mondiale de l'eau, un prétexte en or pou faire le point sur notre Politique nationale de l'eau (PNE), qui aura dix ans à l'automne.

On attend encore les résultats de cette politique après une décennie en matière d'économies d'eau. La plupart de nos usines d'épuration ne sont toujours pas équipées de traitement tertiaire et plusieurs ont atteint leur capacité limite.

Mais surtout, le Québec n'a toujours pas de règlement de base qui déterminerait quels sont les rejets autorisés de substances toxiques. Nous en sommes toujours au Québec à autoriser ces rejets, cas par cas, souvent en tenant compte de la capacité de payer des entreprises, et cela, à partir d'une directive administrative qui ne fait pas le poids sur le plan juridique comme l'a démontré un récent jugement.

L'état de nos cours d'eau ne s'est peut-être pas détérioré sensiblement du point de vue de la pollution, selon le récent Portrait de nos eaux de surface au Québec 1999-2008. Mais la situation ne s'est pas améliorée non plus, sauf dans des cas particuliers. Mais surtout -- ce que ce bilan n'indique absolument pas en raison de l'aberrante séparation des services de la faune et de l'environnement --, ce bilan ne mesure pas l'atrophie de la vie aquatique, soit notre contribution substantielle au déclin de la biodiversité. Sous l'effet de notre pollution chronique, les espèces d'origine ont disparu des cours ou leurs effectifs se sont raréfiés dramatiquement. L'absence de bilan écosystémique de nos réseaux hydrographiques ampute dangereusement la réflexion collective sur ces enjeux. Un bilan quinquennal devrait être obligatoire en vertu de la Loi sur le développement durable...

Pour une PENB

À l'évidence, notre Politique nationale de l'eau doit impérativement être repensée et intégrée à une politique de protection de la biodiversité en raison de leur caractère inextricable.

Une véritable Politique nationale de l'eau et de la biodiversité (PNEB) devrait commencer par assujettir tout le développement hydroélectrique du Québec afin d'encadrer sérieusement le Plan Nord et éviter les dérapages présentement prévisibles. Le fait d'avoir exclu l'hydroélectricité de la version 2002 de la PNE en dit long sur la realpolitik de Québec, obsédé par l'idée d'augmenter les profits d'Hydro-Québec par de nouveaux projets pour vendre, même à perte, de nouveaux kilowatts. Une véritable PNEB ne pourra éviter d'inclure une politique de protection des derniers grands cours d'eau vierges du Québec, dont nous sommes les fiduciaires devant le reste de l'humanité.

Plus concrètement, plusieurs changements à la Loi sur la qualité de l'environnement devraient ainsi être envisagés.

Par exemple, l'article 22, qui exige une autorisation préalable à toute activité susceptible d'altérer les cours d'eau et les milieux humides, est aujourd'hui considéré comme un mécanisme d'autorisation des projets et non un mécanisme qui empêche d'altérer ces milieux, sauf exceptions... exceptionnelles. Cet article devrait interdire clairement de toucher à un cours d'eau ou à un milieu humide sauf si la sécurité et l'intérêt public sont en cause et dans le seul cas où il n'existe aucun autre moyen d'atteindre les objectifs. Et cela, même si le prix doit être plus élevé, ce qui constitue une intégration des coûts sociaux et environnementaux, comme le recommande notamment l'OCDE dans une logique économique de base.

Une PNEB devrait intégrer cette règle, que les conservateurs fédéraux s'apprêtent à faire disparaître la semaine prochaine parce qu'elle est trop efficace, soit d'interdire dans la loi québécoise toute atteinte à l'habitat des poissons. Elle devrait aussi interdire d'autoriser tout projet qui provoquerait une perte nette de productivité biologique, si on veut être sérieux.

Un futur règlement sur les rejets dans les cours d'eau devrait être révisé tous les cinq ans, comme le Clean Air Act aux États-Unis, et intégrer les règles les plus sévères en vigueur sur le continent. La loi devrait aussi prévoir l'abolition progressive des anciennes autorisations et imposer la mise aux normes, y compris des usines d'épuration, en moins de 10 ans, question d'équité.

Pour contrer la pollution diffuse, la réglementation devrait plafonner dans chaque région l'utilisation d'engrais et de pesticides en fonction de la capacité des cours d'eau récepteurs et gérer la vente de ces produits par encan. Les filtres ou bandes riveraines devraient être de 10 mètres en milieu agricole et aucun fonds de l'État, via la Financière agricole, ne pourrait être versé aux établissements non conformes. La réglementation devrait aussi exiger la construction de bassins de rétention pour filtrer, avec des plantes aquatiques les sédiments, les engrais et les pesticides en provenance des terres situées derrière les bandes riveraines. Les municipalités seraient responsables de l'application du règlement, feraient rapport annuellement sur le taux de conformité et garderaient l'argent des amendes.

Enfin, avec un peu de vision, il faudrait mettre fin au statut médiéval de «cours d'eau municipaux», qui autorise à les transformer littéralement en égouts agricoles, sauf s'ils posent un problème de sécurité publique.

À partir de ces quelques pistes de réflexion, imaginez ce que susciterait une grande audience générique sur l'eau et la biodiversité...

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