Forum mondial de l'eau : Les idées alternatives ne sont plus marginales
Le Conseil mondial de l'eau, qui a organisé le Forum mondial de l'eau à Marseille la semaine dernière, se présente maintenant comme une « ONG ». Drôle d'ONG qui regroupe pouvoirs publics et multinationales sous la houlette du PDG d'une filiale de Veolia.
'est-ce pas l'aveu de la partialité d'un forum qui prétend élaborer la politique de l'eau à l'échelle de la planète ? Imaginons par exemple qu'à la place de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), nous ayons un Salon de l'industrie pharmaceutique. Au-delà de ce défaut majeur de conception, le Forum mondial de l'eau est aujourd'hui disqualifié par l'échec des « solutions » qu'il n'a de cesse de proposer depuis sa création. Il y a dix ans, en effet, le PDG de Suez vantait l'implantation de son entreprise dans plusieurs grandes villes du monde pour résoudre la crise mondiale de l'eau. Depuis, la plupart de ces contrats ont été rompus sous la pression des populations, qui ne pouvaient supporter les hausses vertigineuses des tarifs ou la dégradation des services rendus. Du côté de Veolia, ce n'est pas mieux, la multinationale a réduit son implantation de 77 à 40 pays pour des raisons semblables. Et qu'on ne vienne pas nous expliquer que cela est nuisible à l'emploi. Dans les services publics de l'eau, les emplois ne peuvent pas être délocalisés, c'est au contraire avec les multinationales que la chasse à l'emploi est ouverte sous prétexte de réaliser des gains de productivité.
C'est donc l'échec des « solutions » du Forum mondial de l'eau qui a rendu indispensable un Forum alternatif mondial de l'eau (Fame), portant de tout autres valeurs, de plus en plus partagées partout dans le monde. L'eau considérée comme un bien commun, qui a constitué une véritable lame de fond lors du référendum italien en juin dernier. L'eau reconnue comme un droit humain par l'ONU. L'eau remunicipalisée à Paris, au cour du modèle français de gestion privatisée, la reprise en main du suivi ou la renégociation de leurs contrats par nombre de villes. Mais aussi la valorisation des formes communautaires et citoyennes de gestion (qui représentent 1/6 des services d'eau au Sri Lanka). Ou encore le combat écologique pour la qualité de l'eau et pour la vie, qui s'exprime avec une dynamique sans précédent contre l'exploitation des gaz de schiste.
Aujourd'hui déjà, les idées alternatives ne sont plus marginales : elles ont vocation à devenir majoritaires demain. Á la pensée unique du Forum mondial, le Fame préfère l'échange d'expériences, la confrontation d'idées, la pluralité des voix et des voies. Le Forum l'a prouvé avec la tenue de plus de 180 ateliers, conférences, débats, et la venue de représentants de 50 pays. La France devrait s'honorer de cette vitalité citoyenne, respecter et soutenir la libre initiative des associations. C'est malheureusement tout le contraire qui se produit : le gouvernement finance à fonds perdus - de l'ordre de 30 millions d'euros - le Forum mondial au moment même où les multinationales s'en désengagent financièrement, mais refuse le moindre centime au Forum alternatif.
C'est incompréhensible du point de vue du pluralisme et c'est même contraire aux traditions républicaines. Mais c'est aussi le démenti brutal de tous les discours en faveur du droit à l'eau que tient ce même gouvernement. Par ses actes, il soutient à bras-le-corps une initiative commerciale déguisée et sanctionne les citoyens et les organisations qui agissent au quotidien pour le droit à l'eau. Ceux-là et toutes celles et ceux qu'indigne le scandale d'une partie de l'humanité toujours privée d'eau et d'assainissement, avaient rendez-vous à Marseille au Forum alternatif mondial de l'eau pour lancer la nouvelle étape du droit à l'eau et à l'assainissement, celle de son application.
(*) Gabriel Amard, président de la régie publique de l'eau des Lacs de l'Essonne ; Magali Giovannangeli, présidente de la communauté d'agglomération d'Aubagne ; Marc Laimé, journaliste ; Jean-Claude Oliva, association EAU ; Nathalie Péré-Marzano, Crid ; Jacques Perreux, conseiller régional d'Île-de-France ; Michel Partage, conseiller général du Var ; Emmanuel Poilane, Fondation France Libertés ; Jean Rousseau, Emmaüs international ; Jean-Luc Touly, Anticor ; Gabriella Zanzanaini, Food and Water Europe.
signature collective (*).