Les ONG à contre-courant


Entité: 
Libération
Date de la référence: 
12 Mars, 2012

Les opposants au forum officiel réclament une gestion publique de l’eau.
Par Éliane Patriarca, Libération

«Une foire commerciale» : c’est à cela que le Forum mondial de l’eau se résume aux yeux du mouvement social. Depuis la création de cet événement triennal, les ONG spécialistes de l’eau n’ont cessé d’en contester la légitimité, accusant son organisateur, le Conseil mondial de l’eau (CME) d’«être le porte-voix des entreprises multinationales», et dénonçant la «marchandisation» d’une ressource vitale. Les ONG organisent donc en parallèle un contre-forum à Marseille. Il devrait accueillir au Dock des Suds 2 000 participants venus d’Espagne, d’Allemagne, des Etats-Unis, d’Amérique du Sud et d’Afrique, pour une série de débats et ateliers et une manifestation le 17 mars.

Mais pour la première fois, la société civile, française et internationale, a élaboré, au cours d’un colloque préalable de deux jours, vendredi et samedi, une déclaration commune afin de «parler d’une seule voix et obliger les politiques à tenir compte de nos attentes», explique Emmanuel Poilane, directeur de la fondation France Libertés. La déclaration porte sur trois revendications essentielles. Il y a urgence pour ces ONG à créer une gouvernance mondiale de l’eau. «Le Conseil mondial n’est qu’un club, sans aucune légitimité internationale, indique Laurent Chabert d’Hières, directeur de la Coalition Eau, qui regroupe une trentaine d’ONG. Il n’a notamment aucun lien avec les Nations unies.»

Collectivités. Le rapport de la mission d’information parlementaire sur la géopolitique de l’eau, rendu en décembre, prône lui aussi la mise en place d’une structure mondiale dédiée à l’eau. «Comme la diplomatie française milite depuis quelques années en faveur d’une Organisation mondiale de l’environnement, elle pourrait comporter une antenne dédiée à l’eau», suggère le rapport. «Elle pourrait aussi regrouper les départements eau, qui sont aujourd’hui morcelés entre une quinzaine de structures onusiennes», ajoute Laurent Chabert d’Hyères.

Mais la question de la gouvernance se pose aussi au niveau local. Les ONG préconisent que la gestion de l’eau soit concentrée entre les mains d’une autorité publique. Elles encouragent les collectivités locales à résister à la privatisation ou à revenir en régie publique. Et rappellent que le modèle français est une exception : 90% de la distribution de l’eau dans le monde est en service public, comme aux Etats-Unis ou en Allemagne. En Argentine, en Bolivie ou au Kenya, les tentatives de privatisation ont échoué.

Constitution. Au niveau mondial, le droit à l’eau pour tous a finalement été reconnu par l’ONU le 28 juillet 2010. Reste à le concrétiser : «Seuls 30 pays sur 193 ont inscrit ce droit dans leur Constitution, et ce ne sont que des pays du Sud, déplore Emmanuel Poilane. En France par exemple, ce droit n’est toujours pas inscrit dans la loi ou la Constitution.» Il y a urgence, car la cause de mortalité la plus fréquente sur la planète reste le non-accès à l’eau. «Toutes les trois secondes un enfant meurt de n’avoir pas accès à l’eau.» Pourtant, «l’eau est un facteur de paix», poursuit Emmanuel Poilane, qui bat ainsi en brèche l’épouvantail souvent brandi des «guerres de l’eau».

La gestion des ressources peut être à l’origine de tensions, reconnaissent les ONG, mais les exemples de coopération sont nettement plus nombreux que les conflits graves.

Ainsi, selon une étude menée par l’université de l’Oregon, depuis 1948, sur 1 831 situations conflictuelles, 7 différends ont donné lieu à des guerres et 507 à des actions militaires. En revanche, 200 traités ont été signés et 1 228 mesures de coopération ont été dénombrées.

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