Perspectives de l'environnement à l'horizon 2050 - Deux siècles d'acquis menacés


Entité: 
Le Devoir
Date de la référence: 
16 Mars, 2012

Par Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir

L'OCDE sonne l'alarme: faute de nouvelles politiques, la dégradation environnementale mettra en péril notre niveau de vie

*Consultez le rapport de l'OCDE

«La dégradation et l'érosion de notre capital environnemental naturel risquent de se poursuivre jusqu'en 2050, entraînant des changements irréversibles qui pourraient mettre en péril les acquis de deux siècles d'amélioration des niveaux de vie.»

Cet avertissement sans ambiguïté n'est pas celui d'un groupe écologiste militant, mais du rapport sur les Perspectives de l'environnement à l'horizon 2050, publié hier par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

«Faute de nouvelles politiques, les progrès réalisés pour réduire les pressions sur l'environnement ne suffiront pas à compenser les impacts liés à la croissance économique», avertit l'organisme international, qui ajoute qu'il est «nécessaire et urgent d'engager dès à présent une action globale de manière à éviter les coûts et conséquences considérables de l'inaction, tant du point de vue économique que sur le plan humain».

La croissance économique «sans précédent», qui a favorisé l'élévation du niveau de vie, se double d'une croissance démographique «à un rythme plus soutenu que la réduction des dégradations environnementales» de sorte que l'espèce humaine ne cesse de gruger son capital écologique au lieu de s'en tenir à en glaner les intérêts. Pour l'OCDE, la conclusion est claire: à tous ces gouvernements qui ne songent qu'à enfoncer l'accélérateur du développement au détriment de la biodiversité, l'organisme international propose plutôt de mieux gérer, voire de «restaurer les actifs naturels dont dépend toute forme de vie».

Une planète différente

En 2050, selon ce bilan, la planète comptera 2 milliards de personnes de plus. L'économie mondiale aura quadruplé. L'Afrique aura dépassé par son taux de croissance ceux de la Chine et de l'Inde. Le quart de la population mondiale aura plus de 65 ans. Sept personnes sur dix vivront en zone urbaine. La consommation d'énergie augmentera de 80 % par rapport à maintenant et, à moins d'un virage urgent, la part des combustibles fossiles se situera encore autour de 85 %.

Selon l'OCDE, les émissions de gaz à effet de serre auront augmenté de 50 %, atteignant les 585 parties par million. La température du globe aura grimpé de 3 à 6 degrés, bien au-dessus du seuil de sécurité de 2 degrés, dont le respect exigerait des engagements de réduction plus exigeants que ceux des conférences de Copenhague et de Cancún.

Le réchauffement de la planète deviendra du coup la principale menace au maintien de la biodiversité terrestre, qui devrait accuser un recul supplémentaire de 10 % d'ici 2050. La superficie des forêts vierges devrait diminuer de 13 %, entamant davantage un capital par ailleurs essentiel pour l'agriculture, la pharmacologie, etc. La deuxième menace pour la biodiversité sera la sylviculture commerciale, que les gouvernements encouragent pour augmenter la productivité, suivie des cultures bioénergétiques dont on tirera de l'énergie pour satisfaire la boulimie universelle.

Eau et air menacés

Les ressources en eau, sous la menace du réchauffement planétaire et de leur surexploitation, seront menacées beaucoup plus qu'aujourd'hui. Quelque 2,3 milliards de personnes, soit 40 % de la population mondiale, vont vivre dans des bassins «soumis à un stress hydrique élevé», notamment en Afrique du Nord et en Afrique australe, ainsi qu'en Asie du Sud et en Asie centrale. La demande d'eau devrait augmenter de 55 % globalement.

«La préservation des flux environnementaux sera fragilisée, mettant en danger les écosystèmes. Dans plusieurs régions, l'épuisement des eaux souterraines pourrait devenir la plus grande menace pesant sur l'agriculture et sur l'approvisionnement en eau des zones urbaines. La pollution de l'eau par des éléments nutritifs provenant d'eaux urbaines résiduaires et d'agriculture devrait s'aggraver dans la plupart des régions, intensifiant l'eutrophisation et portant atteinte à la biodiversité aquatique.» Plus de 240 millions de personnes seront alors privées d'un accès à une eau «améliorée», principalement en Afrique. Et 1,4 milliard de personnes pourraient toujours être privées d'un assainissement minimal de leurs eaux usées.

Selon l'OCDE, la pollution atmosphérique «devrait devenir la principale cause environnementale de décès prématurés», surtout en Asie où plusieurs villes dépassent les normes de l'Organisation mondiale de la santé. Ces décès devraient frapper 3,6 millions de personnes par an, soit deux fois plus que maintenant. L'Inde et la Chine, dont les populations seront alors vieillissantes, vont enregistrer parmi les plus hauts taux de décès prématurés à cause de la pollution par l'ozone troposphérique au sol (smog). La pollution toxique frappera plus durement les pays non membres de l'OCDE dont les normes environnementales sont plus faibles ou inexistantes.

Le virage

«Une action précoce est rationnelle, du point de vue environnemental et économique», insiste le rapport. Par exemple, un prix du carbone qui refléterait les dommages infligés au climat «pourrait réduire les émissions de GES de près de 70 % en 2050» par rapport au scénario du laisser-faire (référence). La croissance économique serait ainsi réduite de 0,2 % par an en moyenne, soit environ 5,5 % du PIB mondial en 2050.

Mais «c'est bien mieux, conclut l'organisme économique, comparé au coût potentiel de l'inaction, qui, selon certaines estimations, pourrait atteindre pas moins de 14 % de la consommation moyenne mondiale par habitant». Dans les pays émergents, les bénéfices d'une réduction de la pollution atmosphérique seraient d'environ 10 fois supérieurs aux investissements requis, et dans le cas de l'assainissement des eaux, les gains seraient de sept fois supérieurs.

Quatre politiques majeures sont nécessaires pour renverser ces tendances, selon l'OCDE.

D'abord, rendre la pollution plus coûteuse que les solutions plus vertes, au moyen d'écotaxes ou d'échanges de permis d'émissions. Les gouvernements doivent aussi mettre un prix sur les biens et services produits à même le patrimoine naturel ou sur les «services écosystémiques», comme tarifer les grands usages de l'eau ou les ressources rares.

Les gouvernements doivent aussi supprimer les subventions préjudiciables à l'environnement, qu'il s'agisse d'irrigation ou de combustibles fossiles, et concevoir des réglementations et des normes efficaces pour enrayer le déclin de la biodiversité, comme les milieux humides, tout comme ils doivent assujettir leurs politiques économiques aux priorités de conservation des écosystèmes et des ressources vivantes. Ils doivent aussi encourager l'innovation verte dans la foulée du débat qui doit se faire à Rio, par exemple, en juin prochain, où on tentera de lancer une politique économique mondiale et verte.

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