Un puits de carbone dans les débris d'amiante
Par Jean-François Cliche, Le Soleil
(Québec) Une drôle d'histoire de plaques de neige qui fondaient sans raison apparente, un peu partout sur l'énorme montagne de résidus de la mine d'amiante de Black Lake, a amené une équipe de chercheurs de Québec à découvrir un puits de carbone dans un endroit pour le moins inusité.
«On travaillait sur ces résidus-là depuis 2003 pour mesurer leur capacité de stockage du CO2. On avait déjà remarqué qu'il y avait des endroits où la neige fondait en hiver, mais on ignorait pourquoi et on n'avait pas eu le temps d'étudier le phénomène», relate le géologue de l'Université Laval Georges Beaudoin, qui cosigne avec 10 autres savants un article à ce sujet dans le dernier numéro de Geology. L'auteure principale est Julie Pronost, qui était alors postdoctorante.
En prenant différentes mesures au-dessus de cinq de ces plaques en 2009 et en 2010, l'équipe a réalisé qu'il y avait de l'air qui sortait de ces endroits, à des débits variant de 2,1 à 19,9 litres par mètre carré et par seconde. En hiver, la température de cet air se situait entre 5 et 12 °C environ, alors que l'air ambiant était évidemment beaucoup plus froid - d'où la fonte de neige.
Mais «ce qui nous a vraiment surpris dans cette histoire-là, dit M. Beaudoin, c'est de voir que l'air qui sortait de là contenait parfois 0 ppm [particules par million] de CO2. C'est vraiment le départ de notre projet. On avait la chaleur, mais on ne savait pas trop comment ça arrivait là, et le CO2 nous a poussés à aller une étape plus loin».
En hiver, leurs mesures ont montré des concentrations de CO2 sous les 10 ppm. Par comparaison, l'atmosphère terrestre contient normalement 390 ppm de CO2 ce qui, comme on le sait, augmente l'effet de serre naturel de la Terre et réchauffe le climat. D'où l'intérêt d'en retirer de l'air.
CO2 «Capturé»
L'hypothèse que proposent M. Beaudoin et cie est que l'amiante toujours présent dans ces déchets miniers aurait «capturé» le CO2. L'amiante contient en effet du magnésium qui, en solution dans l'eau, peut réagir avec le gaz carbonique pour former des carbonates, des sortes de «roches» qui emmagasinent le carbone de manière permanente.
D'après les calculs de l'équipe de l'UL, «au moins 600 tonnes» de CO2 seraient ainsi retirées de l'atmosphère chaque année, sans que l'on ait à faire quoi que ce soit. Il faudra voir si un arrosage régulier des résidus de Black Lake, par exemple, permettrait d'accélérer la capture.
Mieux encore, non seulement le processus ne requiert aucune énergie, mais au contraire il en fournit, d'où la chaleur de l'air qui sort des évents en hiver. On pourrait donc envisager de mettre au point un procédé industriel à grande échelle qui permettrait à certaines futures mines de stocker du carbone et de récupérer cette énergie.
Notons pour finir que ces évents n'étaient pas observés en été, pas parce que le stockage du carbone cesse, mais vraisemblablement parce qu'en hiver, le couvert de neige et de glace empêche l'air chauffé de sortir de manière diffuse et le concentre en certains endroits.