Vive la décroissance planifiée!
Par Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir
Depuis hier, le gratin politique de la planète veut se faire voir à Davos. Pas pour réfléchir, comme le veut la philosophie de cette initiative, mais pour des objectifs «ciblés», savamment préparés par les états-majors politiques de chaque État. Le tout dans une atmosphère détendue, avec des artistes à qui l'on coupe les subventions et menace les droits d'auteur le reste de l'année, et des philosophes dont on lira le nom sur les programmes, faute d'avoir lu leurs livres. Nos premiers ministres Harper et Charest disent carrément qu'ils y vont pour attirer des capitaux.
Certainement pas pour méditer sur les impacts de leurs politiques sur les futures générations...
Cette année, on prétend réparer quelque peu le capitalisme sauvage à Davos. Mais qu'y a-t-il de changé depuis la récession de 2008 dont les diagnostics sont clairs? Ni le président Obama, malgré ses promesses, ni l'Europe, pourtant plus sociale dans son approche, n'ont mis au pas les spéculateurs ou ralenti la financiarisation de l'économie. On devrait d'ailleurs désormais parler aussi de financiarisation de la politique avec la prise en charge de pays comme la Grèce et l'Italie par les banquiers.
Mais quel est le rapport de tout ça avec la nature, vous demandez-vous?
Il est simple, direct et clair: c'est cette économie basée sur la surexploitation des ressources naturelles, fouettée par la spéculation des ressources, principalement dans les pays les plus assoiffés de capitaux et d'emplois, qui est à la base de l'atrophie générale du vivant sur la planète. Les mers sont polluées, et leurs cheptels aquatiques surexploités au-delà de toute limite raisonnable. Les grands écosystèmes forestiers sont partout menacés par le même système. Et la croissance effrénée des populations humaines exige un niveau d'exploitation qui entame le capital nature et qui dépasse ses seuils d'autorégénération.
Si Davos devait — et c'est un minimum qu'il ne livrera pas — enrayer la spéculation qui menace encore l'économie mondiale, ceux qui réfléchissent aux moyens d'aller dans une autre direction ne sont pas écoutés. À Porto Allegre, cette semaine, ceux qui essaient de penser une autre économie n'ont pas eu le dixième de la couverture médiatique qu'on accordait hier à Davos. Pourtant, ceux-là se penchent sur un mal plus profond, sur une menace plus incontournable, l'épuisement des ressources et la répartition inégale de leur jouissance.
L'ONU tiendra en juin à Rio une conférence qui entend faire le point sur celle de Rio en 1992, d'où son nom, Rio +20. On se prépare à y lancer le concept «d'économie verte», une économie qui tenterait de refaire le lien entre les humains et la nature. L'ONU, bien appuyée sur les grandes forces économiques mondiales, tente de mettre derrière elle le concept galvaudé de «développement durable». Ce dernier a été tellement déformé que, conçu à l'origine pour enrayer une consommation insoutenable et inéquitable sur la planète, il est devenu un slogan pour verdir la dévastation des derniers grands écosystèmes de la planète, comme notre Grand Nord.
Cette «économie verte» est d'abord et avant tout une tentative pour créer un «capitalisme vert», c'est-à-dire une exploitation traditionnelle qui respecterait les balises de la nature. Mais pour beaucoup de monde à Porto Allegre, vert ou pas, ce capitalisme pousse l'humanité irréversiblement vers l'atrophie du système vivant et l'épuisement des ressources, ce qui augmentera à terme la répartition inéquitable de la richesse. On glorifie ce concept en disant qu'il stimulera la mise au point et l'utilisation de techniques moins dommageables, comme l'éolien ou le solaire, ce qui donnera un nouvel élan à l'économie. On parlera de lutter plus efficacement contre la pollution, d'utiliser des matériaux plus naturels. Les maisons seront hypervertes, mais construites dans des milieux humides ou aux dépens de forêts.
Rien jusqu'ici, que ce soit à Davos ou au sommet de Rio +20, n'attaque de front la surexploitation globale, résultat d'une surpopulation évidente et du stress qu'engendre sa consommation en ressources de toutes sortes. Personne ne met à l'ordre du jour, sauf à Porto Allegre, et encore, la nécessité d'envisager l'économie de l'avenir dans une logique de décroissance, un mot qui fait peur, qu'on proscrit du discours politique et économique.
La planète et ses médias adorent les grands-messes même si les plus médiatiques, comme celles sur les changements climatiques, sont des culs-de-sac à répétition parce que la sécurité environnementale n'est qu'un discours, pas une priorité. La semaine prochaine, après Davos, nos Harper et Charest vont retourner à leurs vieilles hébétudes avec de nouveaux projets d'exploitation, qui vont augmenter la pression sur d'autres écosystèmes.
Est-ce que c'est en poliçant le système bancaire à l'occasion des grands-messes médiatiques de Davos, du G8 ou du G20, ou en nous dotant en juin à Rio d'un capitalisme onusien sensément vert, que nous renverserons l'atrophie en cours du système vivant de la Terre? L'actuelle génération de politiciens est-elle, au mieux, en train de repousser l'échéance d'un épuisement des ressources qui imposera une décroissance sauvage et inéquitable parce que nous aurons évité de la planifier avec lucidité?